A l’heure de Facebook et de la télé-réalité, une exposition de la Tate Modern à Londres livre sa vision du voyeurisme dans l’art. Eclairant.
Dans cette image de Chris Verene réalisée en 1996, le sujet n’est pas la jeune femme shootée nue, que l’on devine sur le rebord de la fenêtre, mais le photographe lui-même, qui dissimule presque entièrement sa proie. Avec ce cliché extrait de la série Camera Club, c’est donc un peu l’histoire de l’arroseur arrosé, du voyeur démasqué, que met en scène le photographe américain.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A Londres, c’est le point de vue qu’adopte Exposed: Voyeurism, Surveillance and the Camera, qui met à nu l’usage photographique et ses velléités de contrôle.
“Sommes-nous devenus une société de voyeurs ?”
, s’interroge en préambule de l’exposition le directeur de la Tate Modern, qui fête ses 10 ans. On dirait que oui, vu la prolifération d’un tas de prothèses et procédés de mise en scène de soi (téléphones portables, émissions de télé-réalité, vidéos diffusées sur YouTube, Facebook, localisations sur iPhone) qui font de nous des voyeurs absolus et des exhibitionnistes forcenés.
Habilement, l’exposition ne se cantonne pas à une imagerie récente et remonte aux débuts de la photographie pour en déceler le potentiel voyeuriste. On y croise les premières images érotiques d’Auguste Belloc, les prises sur le vif enregistrées par les pionniers de la street photography dans les années 50 (Walker Evans, Robert Frank, Diane Arbus ou Henri Cartier-Bresson) ou les images trash et intimistes de Nan Goldin et l’iconographie militaire détournée par Harun Farocki.
Les pulsions scopiques du photographe, qui constituaient le sujet principal de l’extraordinaire Fenêtre sur cour (dans ce film de 1954, Hitchcock mettait en scène un reporter immobilisé après un accident qui suit depuis sa chambre à coucher les allées et venues de ses voisins), sont au cœur de l’exposition. Il faut dire que, de Vito Accconci à Sophie Calle en passant par Philip-Lorca diCorcia, nombreux sont les artistes à avoir un temps endossé la posture du suiveur jouisseur, traqueur discret d’anonymes saisis dans leur intimité.
Ailleurs, ce sont les stars Andy Warhol – photographié le torse nu et cicatrisé par Richard Avedon –, ou Jackie Kennedy et Elizabeth Taylor, qui font les frais des paparazzi de luxe que sont Weegee ou Guy Bourdin. Le dernier versant de cette exposition extrêmement dense propose la lecture d’une photographie de guerre confrontée à l’irréconciliable : le témoignage d’un côté, la compassion de l’autre.
Dans Devant la douleur des autres, la philosophe Susan Sontag commentait le caractère pornographique des clichés pris par les soldats US dans la prison d’Abou Ghraib.
“L’horreur de ce qui est montré sur les photographies ne peut être séparée de l’horreur née du fait que ces photographies ont pu être prises”
, analysait-elle, s’inquiétant déjà de la propension contemporaine à tout scénariser.
Spécialiste de l’image, Marie-José Mondzain datait au 11 Septembre,
“véritable détonateur iconique, (…) la mise en scène de la terreur comme industrie du spectacle”.
Avec cette exposition aux registres multiples, du plus léger au plus grave, il s’agit en tout cas de prendre toute la mesure du pouvoir constituant de l’image photographique.
Exposed: Voyeurism, Surveillance and the Camera Jusqu’au 3 octobre à la Tate Modern, Londres /// www.tate.org.uk
{"type":"Banniere-Basse"}