La tuerie survenue hier dans une école primaire du Connecticut repose la question du port d’armes garanti aux Etats-Unis par le deuxième amendement de la Constitution.
L’Amérique est à nouveau en état de choc. Vendredi en fin de matinée, Adam Lanza, un homme d’une vingtaine d’années, a ouvert le feu dans une école primaire de la ville de Newtown, dans le Connecticut, tuant 26 personnes dont 20 enfants âgés de cinq à dix ans. Vêtu d’un gilet pare-balles et portant, selon les sources policières, deux pistolets et une carabine, le jeune homme est entré dans l’établissement et s’est dirigé vers une aile du bâtiment qui pourrait être celle où sa mère était en train de donner cours. Lanza aurait alors d’abord ouvert le feu sur une adulte (probablement sa mère) puis sur les élèves présents dans la salle de classe. Tirant une centaine de balles, le jeune homme se serait ensuite dirigé vers une autre classe. Au total, vingt enfants sont morts ainsi que six adultes. A la suite du massacre, Adam Lanza aurait retourné l’une de ses armes contre lui, portant le bilan total, mais provisoire, à vingt-sept victimes.
Le choc des images contribue à relancer le débat autour du port d’armes
A la veille des célébrations de Noël et après les tueries d’Aurora, de Virginia Tech ou encore de Columbine, la fusillade de la tranquille ville de Newton dans le Connecticut relance le débat sur le port d’armes aux Etats-Unis. S’opposent donc, d’un coté, les américains attachés à cette « liberté » que constitue le droit de porter une arme et d’assurer soi-même sa sécurité et de l’autre, une frange croissante de l’électorat américain fatiguée par les massacres à répétitions (18 rien que pour l’année 2012…). A la suite de la diffusion des premières images de l’école primaire Sandy Hook, les éditoriaux dénonçant avec véhémence le second amendement de la Constitution américaine ont fleuri sur les sites des différents journaux et magazines U.S. Plus de contrôles, plus d’encadrement voire carrément la fin du port d’arme, voilà ce que réclamaient hier au soir beaucoup d’éditorialistes. A la pointe de ce combat difficile, le réalisateur américain Michael Moore, dont le documentaire Bowling for Columbine avait marqué les esprits, réagissait hier sur son compte Twitter : « The way to honor these dead children is to demand strict gun control, free mental health care, and an end to violence as public policy. » (Une manière d’honorer la mémoire des enfants décédés serait de réclamer un strict contrôle des armes, la gratuité des soins pour les maladies mentales et la fin de la violence comme politique publique) ou bien encore « Too soon to speak out about a gun-crazy nation? No, too late. At least THIRTY-ONE school shootings since Columbine. » (Trop tôt pour s’insurger contre une nation folle de ses flingues ? Non, trop tard. On dénombre au moins 31 tueries en milieu scolaires depuis Columbine).
Dans une poignante tribune mise en ligne sur le site du New Yorker, l’écrivain américain Adam Gopnik évoquait quant à lui le mensonge permanent des tenants du lobby des armes allant jusqu’à manipuler l’opinion américaine pour que rien ne change au pays de l’Oncle Sam. Correspondante d’I-Télé aux Etats-Unis, la journaliste Margot Haddad analyse les répercussions médiatiques d’un tel évènement :
« Ce drame fait évidemment la une des journaux télévisés, c’est un appel au secours. La ligne éditoriale des médias aux Etats-Unis est aujourd’hui claire : « Il faut que cela change ». On sent là une pointe de militantisme. Nous assistons cette fois ci à la fusillade en milieu scolaire la plus meurtrière dans l’histoire des Etats-Unis. »
Outre-Atlantique, la nouvelle de la fusillade se propage vite. Aussitôt le nom du supposé meurtrier dévoilé par les chaînes de télévision, des centaines d’internautes se partagent les profils Facebook et Twitter de celui qu’ils croient être à l’origine du massacre. Sauf que très souvent ce sont des homonymes que l’on livre en pâture à une foule d’internautes folle de rage. Pour Margot Haddad, « le seul problème avec les médias américains est qu’à force d’être dans « cette course à l’info », ils finissent par donner de mauvaises informations. C’est mauvais pour la crédibilité du média en soi mais aussi pour la sérénité des familles des victimes. »
Marqué par l’événement, Obama pourra t-il vraiment agir ?
Sous le choc, l’Amérique attendait vivement la première réaction de son Président réélu, Barack Obama. Celui-ci, après quelques heures d’une communication rigoureusement prise en main par les services de la Maison Blanche, s’est exprimé en début de soirée. Auteur d’une déclaration plutôt courte, le Président américain est apparu très marqué au cours de son allocution. Promettant « des actions significatives » pour éviter de telles fusillades, le Président américain, essuyant ponctuellement quelques larmes à la plissure des yeux, a surtout exprimé sa grande peine aux familles des victimes. « Ceux qui sont morts aujourd’hui étaient des enfants, de magnifiques enfants âgés de 5 à10 ans… Ils avaient la vie devant eux. Une vie d’anniversaires, de célébrations, de diplômes et des enfants qu’ils auraient eux-mêmes eu par la suite. Nos coeurs sont brisés… »
Jugé d’ordinaire distant et adepte d’une communication froide, Obama et sa forte émotion ont fait l’objet de nombreux commentaires. Son émotion sera t-elle réellement suivie d’effets ?
Spécialiste des Etats-Unis, le journaliste Olivier Guez en doute… Outre la prégnance d’un lobby comme celui de la National Rifle Association, ce serait bien à cause d’une particularité culturelle à laquelle les américains sont attachés que le statu quo actuel pourrait se poursuivre :
« Le port d’armes ? Cela fait partie de la culture. Une culture à laquelle républicains et démocrates, jeunes et vieux sont attachés. Les Américains y voient un droit non négociable. Ils reconnaissent certes les tueries et les drames mais disent aussi que dans les villes où le port est libre, il y a moins de crimes… Remarquez qu’à chaque tuerie on évoque le problème des armes a feu mais au final personne ne bouge. Et il ne faut pas oublier non plus qu’il s’agit en l’occurrence d’une décision prise Etat par Etat… »
Cette fois pourtant, la prise de conscience semble être réelle et l’Amérique apparaît plus que jamais marquée par ce nouvel épisode de violence. Depuis quelques heures, une pétition destinée à faire pression sur l’administration Obama circule sur Internet. Le nombre de signataires gonfle d’heure en heure. Passé le temps du recueillement, les prochaines semaines diront si Barack Obama aura le courage de mettre fin à un particularisme apparaissant aussi dangereux que folklorique dès lors que l’on se trouve hors des Etats-Unis.
Comment agir ? La solution pourrait provenir d’organisations non-partisanes comme The Common Good dont l’objectif avoué est de provoquer le débat constructif entre républicains et démocrates. Pour Patricia Duff, sa Présidente :
« Ces tueries sont le résultat de la disponibilité d’armes à feu et en particulier d’armes automatiques et semi-automatiques ainsi que de leurs munitions. Nous allons tous, individuellement et par le biais d’associations, chercher à rouvrir le débat raisonné sur le sujet du « gun control ». Il s’agit là d’une question trop longtemps ignorée qui doit être vigoureusement réexaminée. Et le plus tôt sera le mieux… »