Internet est devenu un terrain de jeu formidable pour défendre les causes de tous bords. Les nouveaux militants qui le peuplent s’en donnent à cœur joie. Le fleurissement récent d’happenings, de détournements et de piratages nous ferait presque oublier que l’hacktivisme a une longue histoire derrière lui.
Derniers coup d’éclat en date pour les web-militants : le defacing du site de la féria d’Arles et la vidéo anti-Nestlé de Greenpeace. On crie à l’innovation, on hurle à la nouveauté, et pourtant derrière tout ça, il y a une longue histoire.
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« Les web militants, ou hacktivistes, qui font parler d’eux actuellement ne sont pas issus d’une génération spontanée », analyse Olivier Blondeau sociologue et co-auteur de Devenir media : L’Activisme sur Internet, entre défection et expérimentation.
L’hacktiviste ? Mi-militant, mi–pirate, il est en fait né de la rencontre entre les mouvements protestataire des années 70 et les hackers. Explications.
La tactique du militant
Californie, en pleine épopée seventies, avant la naissance d’Internet. Le BillBoard Libération Front lance ses captations de réclames devenues cultes aujourd’hui.
Un magnifique « I’m realistic, I only smoke Facts » (je suis réaliste, je ne fume que des « faits ») se transforme en un « je suis vraiment malade je ne fume que des Facts ».
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Autre victime, ce panneau annonçant l’approche d’un centre commercial : « HILLSDALE, le commencement de quelque chose de merveilleux »
Quelques néons HS plus tard, le message est tout autre.
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Ces activistes d’un nouveau genre ont développé une technique particulière : une action calculée, qui utilise le même langage, les mêmes méthodes de communication que celui qu’elle veut enfoncer. « Une façon tactique d’attaquer l’ennemi. On n’est pas dans une approche militante stratégique, de révolution ou de préparation du Grand soir », explique Olivier Blondeau, citant le sociologue Michel de Certeau pour qui la tactique, plus que la stratégie, est un « Un art du faible ».
Du faible, peut être, mais diablement efficace. Une technique du « média tactique » qui ne se limite d’ailleurs pas au web : les luttes festives et actions directes sont « Le nouvel art de militer » décrit par Sébastien Porte et Cyril Cavalié dans leur livre. Le but ? Toujours le même : attaquer l’image, « le terrain de l’ennemi, explique Olivier Blondeau. Si on casse la communication, on décrédibilise. »
Du téléphone au culte de la vache morte
Le début des années 90 voit arriver ce qu’Olivier Blondeau appelle les « désobéissances électroniques ». La technique : endommager les systèmes de communication.
Au début, pas de web, mais des attaques via le fax ou le téléphone. Des « fax jams » contre l’Institut national de santé américain (NIH) ou des « phone zapping » : Act Up (déjà !) organise un plateau téléphonique fonctionnant 24h sur 24, 7 jours sur 7 pour saturer les lignes téléphoniques d’une chaine de magasins qui a stoppé la vente de préservatifs.
L’arrivée d’Internet va logiquement développer le phénomène. Comme l’explique le sociologue, le Web est alors apparu comme « un espace pertinent d’action politique, de contestation de l’ordre face à une mondialisation du pouvoir« . Pour ces nouveaux activistes, le militantisme classique d’actions de rues paraît dépassé face à une mondialisation du pouvoir.
Le CDC invente l’hacktivisme
» L’arrivée du groupement de hackers The Cult of the Dead Cow (CDC) peut être considéré comme un tournant dans l’histoire des web-militants », retrace Olivier Blondeau. Né en 1984 au Texas, le CDC ou Culte de la vache morte fait surtout parler de lui en 1997, avec l’invention du terme « hacktivism », et en 2001, avec la publication du manifeste de l’hacktivisme.
En 1998 le lancement du cheval de Troie Back Orifice assoit la renommée du CDC et permet le hackage de nombreux sites web. Dans leur palmarès, de gros poissons : Google, la Chine… Toujours actif, il s’est illustré récemment en lançant Goolag, un Google un peu particulier permettant de trouver les failles et fichiers « confidentiels » des sites webs.
Dominguez et les Yes Men : icônes de l’hacktivisme
En fouinant –même peu- dans l’histoire de l’hacktivisme, on finit toujours par tomber sur Ricardo Dominguez.
Il était déjà là aux premières heures d’Act Up et du « phone zapping ». Il était aussi là en 1998 : par solidarité avec le mouvement Zapatiste en guerre contre le gouvernement mexicain, il lance un appel : un sit-in virtuel. A une heure précise, il demande aux internautes de se rendre sur une liste de cinq sites « symboles du neolibéralisme mexicain » et de rafraîchir régulièrement les pages. De la banque de Mexico au groupe financier Bancomer, les sites sont bloqués, la technique du « net flood » est née.
Ricardo Dominguez a d’ailleurs réutilisé cette technique ce mois-ci, contre l’Université de Californie, où il enseigne, pour protester contre des coupes budgétaires. Un « denial of service » sur le site de l’université qui n’a pas plu : le professeur est pour le moment suspendu. Mais l’hacktiviste est toujours en service. Dernière création de Ricardo Dominguez : le « transborder immigrant tool » un outil pour téléphone portable qui aide les immigrants illégaux mexicains à passer aux Etats-Unis sans encombre.
Autres incontournables du mouvement : les Yes Men. Ils utilisent une autre tactique : « l’hacktivisme de l’URL ». Exemple de réussite du genre pour ces deux professionnels du canular : une copie du site du forum économique mondiale de Davos. Un tiret de différence par rapport à l’url du vrai site et le résultat est tout autre.
« Dans l’histoire des « faux sites », les Yes Men ont été précurseurs », explique Olivier Blondeau. Ils sont très forts pour ça, par contre ils sont très mauvais pour revendiquer ! Et c’est le cas de beaucoup d’hacktivsites. On est face à des gens qui ont du mal à switcher vers la politique, à revendiquer leurs actions. » Une composante pourtant essentielle : « La parole, ça se travaille. Si un piratage politique de site web n’est pas revendiqué, comme dans le cas de la féria d’Arles, on peut se demander si ce n’est pas simplement le coup d’un salarié malveillant. »
Photo : les Yes Men.
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