Le luthiste tunisien Anouar Brahem offre une magnifique dérive dans l’imaginaire du monde arabe, entre pudeur et sensualité. Orient L’oud, ce luth traditionnel oriental, n’est pas tout à fait un instrument comme les autres. Authentique “espace” de réconciliation, lien symbolique unissant dans un même champ culturel des peuples et des traditions souvent en conflit au […]
Le luthiste tunisien Anouar Brahem offre une magnifique dérive dans l’imaginaire du monde arabe, entre pudeur et sensualité.
Orient L’oud, ce luth traditionnel oriental, n’est pas tout à fait un instrument comme les autres. Authentique « espace » de réconciliation, lien symbolique unissant dans un même champ culturel des peuples et des traditions souvent en conflit au cours des siècles, il trimbale dans sa calebasse pas moins de trois mille ans d’histoire méditerranéenne et renferme dans la haute sophistication de son art ancestral tout l’héritage musical du monde arabe et islamique. Partant des rives sensuelles et hédonistes de la Méditerranée et s’élançant résolument vers l’Orient spiritualiste, englobant ainsi dans sa sphère d’influence aussi bien les pays du Maghreb que la Turquie, l’Iran et l’Irak, l’oud est cet instrument singulier où se cristallise miraculeusement l’essence même d’une tradition transnationale et transculturelle, riche de tous ces apports contradictoires. Et c’est très précisément ce mouvement millénaire d’assimilation et d’intégration des différences qu’entend perpétuer et actualiser le Tunisien Anouar Brahem.
Depuis près de vingt ans maintenant qu’il laisse chanter son oud en toute liberté (au point de parfois lui en laisser prendre trop dans des projets fusionnels hasardeux), Brahem a exploré ainsi tous les continents stylistiques auxquels l’instrument s’est trouvé lié par son histoire. Mêlant avec grâce différentes sensibilités modales du Proche-Orient et du Maghreb (son maître Ali Sriti était adepte de la tradition orientale de la musique arabe, c’est-à-dire des courants syriens et égyptiens, et son style, à la fois tendre et ascétique, s’en ressent), et les confrontant amoureusement à divers types d’improvisations, Brahem s’est forgé au fil du temps une manière originale, à la fois aventureuse dans ses écarts pris avec la règle et respectueuse de l’esprit syncrétique de la musique arabe, évitant finalement tout autant clichés orientalistes qu’hybridations mondialistes. Pourtant, après la séduction un brin tapageuse de quelques projets un peu trop volontaristes dans leur ambition d’ouverture, Brahem semble s’être recentré ces derniers temps vers une musique plus personnelle et intimiste dont ce disque Astrakan Café apparaît comme l’aboutissement. En trio avec des complices de longue date, le clarinettiste turc d’origine rom, Barbaros Erköse, et le percussionniste tunisien Lassad Hosni, Anouar Brahem nous embarque dans un étonnant voyage mental, entre confidence amicale sur le ton de la conversation et rêverie méditative. L’austérité sensualiste de l’oud, passant de motifs mélodiques géométriques propres à la tradition arabe à d’exquises ornementations tirées de miniatures persanes ; la plainte vaporeuse de la clarinette d’Erköse dérivant en longues phrases alanguies et serpentines, dans la même ligne déroulée, des Balkans à l’Asie mineure, de la mélancolie rom à la spiritualité ascétique du ney iranien ; le tapis subtil et mouvant des percussions empruntant aux diverses traditions rythmiques orientales avec justesse et sobriété tout tend dans cette musique rigoureuse à redéfinir une fois de plus les contours d’un univers poétique et culturel composite oscillant sans cesse entre pudeur et sensualité, nostalgie et recueillement.