Avec Le Cadeau et Les Mots de Paris, l’Allemand Jochen Gerz tombe dans la facilité et le mauvais goût. Décevant et énervant. Jochen Gerz est un homme heureux. Presque trop : il se réjouit du Cadeau (empoisonné) qu’il vient d’offrir aux habitants de Tourcoing. Via une publicité parue dans le quotidien Nord Eclair du 30 […]
Avec Le Cadeau et Les Mots de Paris, l’Allemand Jochen Gerz tombe dans la facilité et le mauvais goût. Décevant et énervant.
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Jochen Gerz est un homme heureux. Presque trop : il se réjouit du Cadeau (empoisonné) qu’il vient d’offrir aux habitants de Tourcoing. Via une publicité parue dans le quotidien Nord Eclair du 30 mars au 2 avril, l’artiste invitait les Tourquennois et les Lillois à se rendre au Fresnoy pour se faire photographier. Cadeau : « Vous repartirez avec un portrait à la fin de l’exposition », lance une formule lapidaire en bas de page. Premier traquenard du système Gerz : attirer le chaland, lui faire signer un contrat où il s’engage, à la fin de l’exposition, à ne pas reprendre son portrait, mais celui d’une autre personne, au hasard du décrochage. Heureux ? Qu’importe, par un glissement sémantique, Gerz deale tranquillement sa fausse monnaie sous couvert d’une uvre hautement conceptuelle douée d’une bienveillance sociale : se servir des autres pour produire une uvre unique éclatée dans l’espace, tout en retissant un prétendu lien social dans une région minée par les crises économiques.
Le jour du vernissage, Gerz l’enjoliveur raconte comment il a passé la matinée à suspendre une affiche géante avec un immense « Merci » rouge vif sur la façade de l’église de Tourcoing. En réalité, une banale affiche flottant dans le vent.
Décevant. Comme ces 700 portraits noirs et blancs, encadrés façon Ikea, exposés dans la nef du Fresnoy. Un simple coup d’œil suffit pour embrasser l’ensemble de la collection, et comprendre l’irrespect à l’égard des modèles. Chaque individu se trouve noyé dans un agrégat de cadres.
Que dire alors des prises de vues réalisées sans Jochen Gerz ? Que dire des étiquettes numérotées posées hors cadre sur les épaules des participants ?
Ou du studio truffé de webcams saisissant des faux clichés d’instants volés, compilés dans une vidéo ?
Le système Gerz vire à la malhonnêteté : la fréquentation du lieu étant assurée, puisque 700 personnes photographiées, ce sont 700 visiteurs potentiels…
Une cible commerciale de tout premier choix : ce jour-là, le catalogue de l’exposition, album souvenir indispensable, prenait la voie du best-seller local. Jusqu’au summum, quand Jochen Gerz et ses invités de marque (journalistes, personnalités locales) s’éclipsent à l’étage, profitant d’un fin buffet, laissant aux habitants de Tourcoing biscuits et bretzels…
Non content de duper, sous couvert d’une action sociale, Gerz fonde, à Paris, une entreprise au sein même d’une association d’aide aux gens de la rue « Aux captifs, la libération ». Ses employés : douze cas sociaux (ex-taulards, ex-prostitués ou transsexuels). Sa proposition : Les Mots de Paris, une acceptation triste et cynique de la misère, où durant la période estivale, il installera sur le parvis de Notre-Dame un tronc géant permettant de récolter de l’argent, et où les SDF joueront leurs propres rôles. Là aussi le discours de l’artiste est lisse comme un dossier de presse. Parfois même déconcertant : « Mon but est de ne pas zapper un SDF. J’ai choisi un paramètre : je veux faire de l’argent. Avant, l’art contemporain était une vache maigre, aujourd’hui il se porte très bien et je pense qu’il peut redonner un peu. » Un tel sens du respect d’autrui nous oblige à reconsidérer la pertinence même de l’ uvre de Gerz. Depuis 1986, de monuments en campagnes d’affichage, on se dit que Jochen Gerz a trouvé un créneau porteur : racheter notre mauvaise conscience. A l’époque du devoir de mémoire, il répondait par des monuments contre le fascisme, aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, il s’engouffre dans la fracture sociale. Et d’une colère furibarde, il écarte toute question transversale qui viendrait s’immiscer dans le cours de ses projets. Aurait-il lui-même mauvaise conscience ?
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