Intrigues interactives, narrations à plusieurs entrées, extensions vers les réseaux sociaux : le Web tente de nouvelles écritures en matière de fiction.
Après le genre documentaire, dont il a remodelé certains codes, le Web s’apprête-t-il aussi à imprimer sa marque sur la fiction ? Le paysage audiovisuel, en proie à des expérimentations continues, pourrait bien dans les prochaines années se concentrer sur cette forme étrange, hybride et encore mal identifiée : la webfiction.
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Personne n’en maîtrise encore rigoureusement les modes d’écriture ou même les modes de financement, tant le genre en reste à ses premiers frétillements. Mais de plus en plus d’auteurs ont enfin pris conscience de ses futures potentialités et devinent qu’un vrai enjeu créatif, voire industriel, risque de se développer sur ce territoire narratif. On en voit surgir sur le Web par paquets, dont beaucoup exploitent le filon des séries pour post-ados : Mes colocs (voir la vidéo), Antoine, Bibi et Casimir, Hello geekette, Décide-toi Clément, Le Frigo…
Mais, au-delà de leur motif feuilletonnant, très peu d’entre elles jouent sur les spécificités du Web, l’interactivité en particulier. Après des télévisions américaines, comme HBO, à l’avant-garde du genre grâce à un ovni – la série interactive Imagine produite l’an dernier (voir la vidéo) –, deux chaînes françaises, Canal+ et Arte, ont décidé de creuser cette voie inconnue, ayant pris la mesure de l’importance stratégique qu’elle recouvre pour leur identité créatrice.
Du côté de Canal+, plusieurs projets ont été lancés, notamment Kaïra shopping ou Kali, une nouvelle série produite par La Parisienne d’images. Arte, quant à elle, vient de démarrer la production de son premier grand projet en la matière, Addict(s), écrit et réalisé par Vincent Ravalec et Lydia Hervel, produit par Mascaret films.
Pour Joël Ronez, responsable du pôle web d’Arte France, longtemps concentré sur les webdocumentaires, dont le magnifique Prison Valley de David Dufresne, le pari est désormais d’élargir les contenus en s’attaquant à la “fiction non linéaire”.
“Nous voulons produire des contenus originaux, pas des vidéos de chatons. On cherche à mettre sur pied des oeuvres qui s’inscrivent dans la culture même de ce nouveau média, avec une grammaire adaptée, des écritures proches du jeu vidéo, et qui utilisent les outils inhérents au web.”
Avec Addict(s), qui bénéficie d’un budget de plus d’un million d’euros, Arte se donne les moyens de son ambition, même si l’enveloppe financière reste limitée compte tenu du nombre d’épisodes à tourner (250 minutes en tout). La productrice de la série, Bénédicte Lesage, souligne surtout la dimension expérimentale du projet, né au sein d’un atelier d’écriture :
“On doit revisiter nos habitudes, on n’a plus de repères, comme en fiction télé. L’idée n’est pas de faire de la sous-télé pour le web, mais de raconter des histoires de manière différente, éclatée sur des personnages qui se croisent, et que l’internaute peut décider de suivre ou pas.”
A partir d’un squelette narratif – quatre personnages en voie de réinsertion dans une cité de Bordeaux, confrontés au choix moral de replonger dans la délinquance à la suite d’une proposition de casse –, les auteurs écrivent vingt épisodes de trois minutes pour chaque protagoniste. A côté de ces séquences où se déploient les traits de caractère et les aventures de chacun, plusieurs contrechamps interviennent : des gardes à vue, événements parallèles…
L’internaute est invité à circuler au coeur de ce système “rhizomatique”, à marcher sur un fil (narratif) fragile. Pas de voie toute tracée, mais des sorties de route permanentes : le genre de la webfiction annule la toute puissance d’un scénario droit et tendu pour lui substituer la surprise du voyage aléatoire. Les canons d’écriture de la webfiction – des règles invitant à se dépasser elles-mêmes – ressemblent de ce point de vue à ceux du webdoc, estime Joël Ronez :
“La dimension hypertexte (le récit non linéaire), la dimension interactive et participative (ici aussi, l’internaute peut créer son profil Facebook au coeur de l’histoire) et la dimension de l’immédiateté et du temps réel.”
Comme HBO l’avait illustré avant tout le monde avec Imagine – une série démoniaque par la règle du jeu qu’elle instaure en invitant l’internaute à suivre une histoire d’enlèvement dans un “cube à quatre faces”, que l’on fait pivoter pour avoir quatre points de vue différents –, les télés françaises se préparent à explorer un terrain narratif ludique. Encore mal financée et surtout encore pleine de mystères sur son élaboration et sa réception, la webfiction n’en demeure pas moins un nouvel espace audiovisuel d’expérimentation.
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