Journal déprimé d’un de nos envoyés spéciaux au festival de Cannes. Septième jour.
Depuis hier, il fait beau et chaud, pas trop tôt. Mais une bonne partie de la Croisette a déjà la crève, les projos sont scandées par de grosses toux grasses. Premier bouclage, je gratte pendant huit heures, entrecoupées de quelques plongeons désespérés sur mon lit, je parviens à chaque fois à me relever, je suis fier de moi. Je dors une heure entre 6 h 30 et 7 h 30, par périodes de cinq-dix minutes en jetant un coup d’œil sur le réveil. Puis je me traîne (en taxi, quand même) au Amos Kollek, j’arrive au Palais dans un état de décomposition avancée, j’ai l’impression d’être en pyjama, j’ai peur que les contrôleurs me refoulent, mais non. Surprise, le film est une gentille petite comédie pas glauque du tout. Au bout de cinq minutes, je décide que ce marasme n’a que trop duré et qu’il faut que j’aime ce film. J’y parviens. Je profite des trois-quatre heures de répit pour me retraîner à l’Adosom, à pied cette fois, prendre une douche (je ne me suis jamais autant douché de ma vie ) et enlever mon pyjama. Et je dors une heure de mieux selon la même méthode que ce matin. Je décide alors de m habiller correctement : mocassins neufs et qui font mal, pantalon à pinces, polo Lacoste. C’est ridicule, mais tellement que ça me fait rire, me voilà transformé en minet vintage 84, ceux qui avaient du succès avec les filles’
Je vois le film de Varda. A l’entrée, Gérard Lefort me lance un regard acéré de chroniqueur de mode, il ouvre la bouche, manque de dire quelque chose puis se ravise dans un sourire vite réprimé. Pas de doute, je suis ridicule, le polo Lacoste sans doute, de trop, c’est en 84 qu’il fallait l’avoir Agnès a encore réussi son coup. Et moi, je vais bouffer au McDo avant de m évanouir, rien mangé depuis hier midi.
Incapable de marcher, j’attends vingt minutes un taxi pour retourner à l’hôtel et honorer de ma présence le pot des Inrocks, ça m’emmerde, d’autant que ça me fait louper Avril de Iosseliani que je n’ai pas revu depuis longtemps, mais je me sens obligé. Les filles de la pub en pleines relations publiques avec une poignée de leurs clients, nos hôtes transformés en serveurs de pastis, tous les potes de la Thèque, ADB et Sylvie, Mulet et les siens déjà très imbibés, le cinéaste Vincent Dieutre (qui vers la fin ose me signaler qu’il n’a jamais lu une seule ligne d’Hervé Guibert et que donc ma critique berlinoise de son film Leçons de ténèbres tombe un tantinet à plat, j’en conviens), et Jean-Christophe Bouvet tout auréolé de son rôle de Général vilain dans Taxi 3, accompagné de trois garçons. On est entre nous, c’est sympa, tout le monde s’extasie sur notre hôtel, je crains la ruée l’année prochaine.
Après cinq-six pastis, je vais au dîner pour le film de Chantal Akerman sur la plage du Carlton. Je rencontre enfin Chema Prado, le dirlo de la Filmoteca Espanola, un vieil ami sans qu’on se soit jamais vraiment rencontré, on tchatche pendant plus d’une heure. Puis ça se gâte quand part Dieu sait comment une discussion sur la critique. Assisté de Marc Voinchet de France-Cul, je ferraille contre une table assez remontée contre nous, menée par un monsieur Beinex frère qui fait dans les assurances, qui n’a jamais lu une ligne de moi, mais qui paraît me juger sévèrement, et une Victoria Abril très drôle et effervescente. Si on m avait dit que les dîners de Paulo Branco pouvaient être de tels traquenards’ Je garde mon calme, résiste à l’envie de traiter de gros con inculte le monsieur Beinex, et me lance dans mon répertoire habituel sur l’activité critique, sa petitesse et sa grandeur. Je suis tellement habitué à ce genre de discussions que je suis certain de leur river leur clou. J’y parviens mais ça m a pris deux heures et pas mal d’énergie, je suis épuisé. Dolorès, la femme de Paolo, me félicite, me dit que je suis son héros, un homme, un vrai. J’aime bien Dolorès. Magnanime dans le succès, je fais copain-copain avec le vilain monsieur des assurances, histoire qu’il ne perde pas complètement la face devant ses supportrices retournées comme des crêpes. Et comment il s’appelle déjà votre journal ?? Mmmhh.
Sur ce arrive Kagan, qui a faim, qui connaît vaguement le monsieur des assurances, et qui bouffe en se gardant bien de relancer le foutu débat. On file après avoir serré la main chaleureusement au monsieur des assurances.
Et j’ai la faiblesse (pour la seconde fois, quand même) de me laisser entraîner dans une fête-villa. C’est nul, des webcams partout, du funk pourri, que des minets 2000 et des filles voyantes et même pas belles. Putain, c’est la dernière fois’ Tout ça c’est à cause de Dolorès et du monsieur des assurances, ça m a grisé, c’est malin. Je m’endors très tard et très vite.
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