Journal déprimé d’un de nos envoyés spéciaux au festival de Cannes. Troisième jour.
Nuit d’insomnie improductive.
Puis premier bon film du Festival avec Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll. Devant les casiers de presse, ça discute sec sur les références. Tout le monde est arrivé, c’est la cohue, plutôt joyeuse et amicale, j’embrasse même un traître italien qui nous avait qualifiés de « brigadistes » au moment de la polémique Leconte-Tatave. Mon copain Richard Pe&numl;a est arrivé de New York. On se fait des fêtes.
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Je suis tellement crevé que je ne vais pas voir le film posthume de Robert Kramer à la Semaine de la Critique, pas question de prendre le risque de m’endormir à un film que j’attends autant. Azou y va pour nous. Je le verrai à Paris.
L’après-midi, après avoir vu trois films, je vais bouffer seul à la Cafétéria Casino tout près de l’Adosom, la paix, personne, et la même qualité moyenne et constante depuis toujours. Et la sensation apaisante d’avoir trouvé l’endroit où personne ne me parlera du Festival, ni de cinéma, ni de rien. Je bouffe un steak haché-frites et une pêche melba en lisant L’Equipe. Je dois être le seul mec au monde à s’évader dans une Cafétéria Casino, j’adore cet endroit immuable, une sensation d’enfance et de fugue. Après, je fais mes courses, que du sucre sous toutes ses formes et du jus de pomme (le mini-bar est inconnu à l’Adosom), pour tenir les longues nuits de grattage.
Le soir, léger changement de décor, Kagan (invité, lui) me sort au Carlton, au premier dîner officiel du Festival. J’ai mis mon beau et unique costume, lui est habillé comme l’as de pique, parapluie bicolore compris, et pas du tout à l’aise dans ce genre de trucs. Champagne, plein de connaissances et quelques amis, on discute agréablement avec Isabelle Giordano, jolie robe. Et je me retrouve placé entre mon Kagan et Laurent Jacob, « le fils du dirlo », comme il se présente lui-même. Soirée et conversation plaisantes, tout ça très mondain et très décontracté, très Cannes. Le directeur du Festival du Caire est là, on parle de sa ville et de Chahine. Il m’invite, voilà qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, j’adore me promener, ce type m’est soudain très sympathique. Neil Labutte est aussi à notre table, j’évite de lui parler, pour ne pas avoir à lui dire ce que je pense de son film (Nurse Betty), dont on sort et qui est insupportable de bêtise satisfaite. De toute façon, vu mon niveau d’anglais, l’échange aurait été bref… En revanche, j’explique longuement à Marco Müller pourquoi je n’aime pas le film de Samira Makhmalbaf qu’il a produit. Marco est un vieil ami, on a l’habitude de se parler franchement. Il pleut.
Après, fête de la Quinzaine des Réalisateurs sur une plage de la Croisette. Toute la petite caravane des festivals internationaux est là (les vendeurs, les attachés de presse, les critiques, les producteurs, les distributeurs et quelques égarés), et tous mes copains directeurs de Festival, que je ne vois presque jamais sinon dans les festivals, justement, qui sont tous polyglottes comme je suis ridiculement et uniquement francophone, et qui sont infiniment mieux renseignés que moi sur ce qui se fait aux quatre coins du monde. On est contents de se retrouver, on rit et on picole. Eux sont chargés de trouver les films, et moi de les voir, nous sommes donc faits pour nous entendre, et nous nous entendons comme larrons en foire.
On se chambre gentiment avec Charles Tesson des Cahiers. Il se moque parce que j’ai défendu le dernier Guédiguian (« Faut-être marseillais pour aimer ça !« ), je me moque parce qu’il persiste à trouver des qualités à Mission to Mars de De Palma (« Faut être martien pour aimer ça !« ). On rit. Tiens, je vais reprendre un dernier Pastis…
Mulet et Miossec bien bourrés, très drôles et un peu pénibles. Eric commence toujours trop fort, la même erreur répétée chaque année. On tourne une heure avant de trouver la foutue villa de la fête Harry. Quand on arrive enfin, c’est mort, deux heures de sommeil de perdues. J’aurais mieux fait de m’en tenir à mes bonnes résolutions non-festives, ça m’apprendra…
Vu quatre films, remords d’avoir loupé le Kramer, pensée pour Patrick Modiano : que pense-t-il de tout ça ? Penser à lui laisser le supplément Anna Karina à son hôtel. Le voir sera sûrement impossible, et de toute façon il n’aurait pas le droit de parler des films.
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