A 45 ans, l’auteur de « L’Eau froide » et d’ »Irma Vep » signe son film le plus ambitieux en termes de production. Pour retracer les trente ans que parcourt le roman éponyme de Jacques Chardonne, Olivier Assayas a obtenu un budget de 100 millions de francs, un casting de stars avec Emmanuelle Béart, Charles Berling ou Isabelle Huppert, une durée de trois heures et… la Sélection officielle.
Le roman de Chardonne
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce qui m’a passionné dans le livre, c’est que Chardonne a réussi quelque chose d’unique : raconter la circulation entre le public et le privé. Entre l’intime et le monde. La description de la vie d’un couple, c’est-à-dire l’amour inscrit dans le temps, la manière dont l’amour dans un couple se transforme selon les périodes de la vie, se reformule. Mais aussi comment, dans cette histoire aussi profonde, l’individu s’inscrit dans le monde et dans l’histoire ; comment il peut, en se confrontant au travail, à l’industrie, à l’économie et à l’art, accomplir son destin. Peu de gens dans ce siècle ont aussi bien écrit sur le couple. Et simultanément, il était originaire du milieu qu’il décrit. Son père était un grand négociant en cognac et sa mère était la fille d’un industriel d’origine américaine, qui a créé l’industrie de la porcelaine à Limoges. Dans sa famille, Chardonne a donc vu évoluer ces deux commerces en parallèle : il a assisté à l’effondrement de l’industrie incroyablement prestigieuse qu’était la porcelaine, et a vu comment le cognac, traversé pérodiquement par des crises, s’est finalement maintenu. Leur grandeur et leur misère. Et au-delà, la transformation du monde à travers l’économie. Chardonne avait une double singularité pour décrire ça de manière unique : son talent d’écrivain et ses propres circonstances historiques. Au fond, il parle des transformations du monde comme de son autobiographie. De ce point de vue-là, le titre, Les Destinées sentimentales, raconte tout.
La genèse
J’ai lu le roman pour la première fois en 1989. J’ai pris des notes en me posant tout de suite la question : est-ce adaptable ? Est-ce un film ? Est-ce que j’ai la patience de m’intéresser à un travail d’adaptation ? J’ai donc écrit un document assez conséquent, qui est autant une réflexion sur l’adaptation du roman que mes propres convictions et mes propres doutes sur le projet. J’ai commencé à avoir des discussions avec mon producteur Bruno Pésery. Il s’est renseigné sur la disponibilité des droits : c’était une boîte de prod télé qui les avait à l’époque. Etant donné que l’arrière-plan du film est l’industrie de la porcelaine et le négoce du cognac, ça intéressait donc la télé pour le côté « arts et traditions populaires ». Justement l’un des pièges dans lesquels il ne fallait pas tomber.
En 1994, on a pu prendre les droits et se fixer un calendrier. Là, j’ai dû penser méthode. Je me suis fixé deux directions. D’abord, réunir le matériel documentaire autour de ce monde et de cette époque que je ne connaissais pas. Et là, on se rend compte que le roman de Chardonne est d’une incroyable précision documentaire, un outil génial. Même ce qu’il n’a pas vécu lui-même, il se l’est fait raconter par un membre de sa famille. Deuxième souci : trouver un interlocuteur avec qui écrire le scénario, ce que je n’avais jamais fait. J’ai proposé à Jacques Fieschi, parce que j’avais vu Un c’ur en hiver de Claude Sautet, le seul film français qu’on pourrait dire chardonnien dans son esprit. Ma chance, c’est que non seulement Fieschi avait lu le roman, non seulement il l’avait apprécié, mais en plus il l’aimait pour les mêmes raisons que moi : une matière cinématographiquement stimulante. J’ai une théorie selon laquelle les films longs doivent être deux fois plus rapides que les autres. Face à un projet aussi écrasant, c’est devenu une obsession.
Le casting
Compte tenu de l’ampleur qu’avait pris le budget du film (100 millions de francs au total), le casting devait forcément rassembler des acteurs de rayonnement international. Là, j’ai dû passer par le jeu de chaises musicales du cinéma français, dont j’ai horreur, et auquel j’avais réussi à échapper jusque-là. Jusqu’au jour où j’ai rencontré Emmanuelle Béart. C’est quelqu’un que j’avais toujours estimé, mais là, il y a vraiment eu l’évidence que le personnage de Pauline, qui est le c’ur du film, ne pouvait être quelqu’un d’autre. Et en face d’elle, pour le rôle de Jean Barnery, l’autre évidence était Daniel Auteuil. Puis les atermoiements des chaînes ont fait que Daniel Auteuil n’était plus libre quand le film pouvait enfin se tourner. Outre Emmanuelle, Isabelle Huppert a également été dans le projet depuis le départ. Elle joue un personnage de l’ombre, la première épouse de Jean Barnery. Mais on n’avait toujours pas de Jean. C’était difficile de trouver l’acteur adéquat parce qu’il fallait une flexibilité dans le visage qui permette de montrer le personnage à différents âges de sa vie. Charles Berling avait cette qualité-là, l’avantage d’être un comédien reconnu, qui était également proche de ma façon de travailler. Quand j’ai découvert le couple qu’il formait avec Emmanuelle Béart aux essais, leur complicité, leur proximité, je me suis senti prêt à m’attaquer à ce tournage énorme.
{"type":"Banniere-Basse"}