Mercredi 25 avril à 19 h, l’écrivain et future rock-star Michel Houellebecq s’est livré au jeu du chat, en direct sur lesinrocks.com. Il a répondu aux questions des internautes avec sa gouaille minimaliste et son à-propos habituel. Pour tous ceux qui auraient raté ce grand moment, en voici la fidèle retranscription.
Hélène : Le titre de votre album est Présence humaine : est-ce pour clamer qu’il reste un peu d’humanité en vous ?
M.Houellebecq : C’est ambigu, vu la chanson qui porte ce titre ; il en reste une trace, oui, en voie de disparition.
Marc : Vous mettez en musique vos textes, s’agit-il d’une envie personnelle ou est-ce Bertrand Burgalat qui vous a contacté ?
M.Houellebecq : D’abord Bertrand Burgalat, il avait des bouts de musique à me faire écouter.
Panini saumon : Vous sentez-vous en phase avec sa musique et son esprit ?
M.Houellebecq : Oui, il y a une partie de moi-même vraiment en phase avec ses musiques ; mais est-ce que l’intégralité de son esprit est déjà passée dans les musiques qu’il a faites ? Je ne sais pas encore.
Gillou : Votre « image » est-elle en adéquation avec celle de Tricatel ?
M.Houellebecq : Non, pas trop, je suis supposé être beaucoup plus triste. Mais je n’ai pas choisi les textes les plus tristes dans cet album.
Le maudit : Ce disque est-il le prolongement naturel de votre prose ?
M.Houellebecq : Non, de mes poèmes, nettement. Il y a une vraie séparation prose/poésie qui reste inchangée après ce disque.
Pierre : Etes-vous influencé par le « spoken word » d’un Kerouac, remis à la sauce Tricatel ?
M.Houellebecq : Non, je n’ai jamais écouté ce qu’a pu faire Kerouac. Ni Ginsberg, ni Burroughs. J’en ai juste entendu parler.
Zezette : Et si je vous dis que votre voix ressemble à celle de Bernard Lavilliers ? !
M.Houellebecq : C’est injuste pour Lavilliers ; 13e round, c’était autre chose du point de vue voix ; un côté mâle qui a son intérêt.
Yan : Pensez-vous faire interpréter vos chansons par quelqu’un d’autre que vous ?
M.Houellebecq : J’aimerais, oui, parce qu’il y a des textes violents que je n’ai pas la voix pour interpréter.
Pierre : À quand un duo avec April March (chanteuse du label Tricatel) ?
M.Houellebecq : Ce n’est pas une bonne formule si l’une sait chanter et l’autre pas ; ça fait Jean Gabin.
Bertrand : Et les concerts, est-ce un exercice difficile ?
M.Houellebecq : Moins difficile que de lire des poèmes tout seul ; il y a une espèce de responsabilité collective qui soulage.
Renart : En musique française, qu’écoutes-tu ?
M.Houellebecq : Musique française : je suis dépassé. Attachement très ancien pour Françoise Hardy. Katerine me paraît bien.
De Oliveira : Dans une émission sur France Culture avec Miossec, vous disiez aimer Jean Ferrat. Est ce de la pure provoc ou la mise en lumière d’un réel mauvais goût ?
M.Houellebecq : La mise en lumière d’un réel mauvais goût.
Michelle : À quand le prochain livre tellement attendu ? La musique nous privera-t-elle de tes romans et poèmes ?
M.Houellebecq : Non, non, je recommence la littérature pure. J’ai déjà recommencé en février-mars ; c’est loin d’être fini, mais je finirai.
Marc : L’écriture, la musique, à quand la peinture et le cinéma ?
M.Houellebecq : La peinture, j’en suis incapable. Le cinéma, je ne sais pas ; intellectuellement peut-être pas, mais humainement c’est épuisant.
Aurélie : Dans Rester vivant vous faites l’apologie de la souffrance. Vous vendez aujourd’hui pas mal de livres, faites partie d’une certaine « nomenclature » intellectuelle, êtes en passe de devenir un symbole chantant, où allez-vous encore puiser cette souffrance ?
M.Houellebecq : C’était une apologie de la souffrance comme base, comme première chose à creuser avant même de publier ; mais sinon il y a de rares choses inguérissables.
Pierre : N’avez-vous pas peur de devenir, au fur et à mesure, le « souffreteux de service », une caricature de vous-même ?
M.Houellebecq : Si. Je songe à introduire des moments heureux (encore qu’il y en avait déjà, dans mes deux derniers livres).
Martine : Moi j’ai beaucoup ri en lisant vos romans, et vous en les écrivant ?
M.Houellebecq : C’est très dur de se faire rire soi-même. Mais oui, quand même : il y des phrases qui m’ont fait rire jusqu’au dernier stade de correction des épreuves. « Laisse-nous à notre chagrin, Ducon ! » par exemple.
Emilie : Pourquoi, d’après vous, vous trouve-t-on drôle ?
M.Houellebecq : Ça doit être une réaction nerveuse ; moi-même j’ai un rire nerveux aux enterrements, amputations, etc.
Sophie : Moi, en revanche, je ressens toujours un sentiment « malsain » en refermant vos livres, de grand vide comme si malgré vos efforts pour choquer à force de moult détails sexuels pour le moins exempts de sentiments ou d’émotions, vous n’arriviez pas à convaincre.
M.Houellebecq : Je ne trouve pas que mes scènes sexuelles soient dépourvues d’émotion.
De Oliveira : Pensez-vous comme Philippe Djian que la pornographie soit la chose la plus difficile à décrire ?
M.Houellebecq : C’est plus difficile à filmer qu’à écrire ; à cause de l’importance des sensations tactiles, où le cinéma est très désarmé ; je suis plutôt content de mes passages porno, pour tout dire, et je pense pouvoir faire mieux.
Nicolas : Plus jeune, tu étais le meilleur de la classe et rêvais aux cancres qui se tapaient toutes les filles… maintenant tu fais du rock. À quand un film porno avec dans le rôle de l’amant de la bourgeoise lubrique et du réalisateur un Houellebecq maître de son art ?
M.Houellebecq : En fait, les mecs qui se tapaient toutes les filles avaient des résultats moyens. Film porno, bientôt, promis.
Esther : Vous n’avez pas eu le Goncourt 98. Pierre Marcelle, journaliste à Libération, accusait Les Particules élémentaires d’avoir tué la rentrée littéraire 98 comme la dope a tué le Tour de France. Alors, Les Particules : un malentendu littéraire ?
M.Houellebecq : En même temps il trouvait ça bien, dans son article, d’avoir tué cette cérémonie ridicule de la rentrée littéraire. Donc, question : faut-il interdire la dope dans le sport ?
Sophie : N’avez-vous pas l’impression, sous couvert de désillusion et de rejet des conventions, d’être finalement en plein dans la « tendance actuelle » ?
M.Houellebecq : J’ai même l’impression de créer la tendance actuelle ; mais je ne sais pas à quoi ça tient. J’ai des relations, certes ; mais ce n’est pas une explication suffisante.
Emmanuel : Vous sentez-vous de connivence avec d’autres écrivains ? Sinon, vous sentez-vous seul ?
M.Houellebecq : La connivence a forcément des limites, dans cette activité ; mais, non, je ne me sens pas seul ; je suis plutôt content de ma « génération ».
Fredo : L’admiration de Philippe Sollers vous pèse-t-elle ?
M.Houellebecq : Non, on peut toujours trouver une raison d’aimer Philippe Sollers. (La plus courante : pour son travail d’éditeur.)
Ghislain : Et que pensez-vous de Bret Easton Ellis après l’entretien que vous avez eu avec lui dans les Inrocks ?
M.Houellebecq : Depuis l’entretien, j’ai lu Glamorama ; mon opinion est inchangée : c’est l’écrivain contemporain que je préfère. Humainement ? Ce n’était pas facile de faire connaissance.
John : Pourquoi cette admiration pour Chevènement ?
M.Houellebecq : Il faudrait raconter toute ma vie ; je crois qu’il a raison, et j’apprécie le fait de continuer quand on est mal vu.
Jean : Jacques Prévert est-il toujours un con pour vous ?
M.Houellebecq : Oui, définitivement.
Yossarian : Comment se passe une journée dans les périodes où vous écrivez un roman ? Ecrivez-vous à la main ou à l’ordinateur ? Vous fixez-vous des horaires ? Écrivez-vous couché ? (ce genre de choses…)
M.Houellebecq : J’écris à la main, couché, et seul. Ensuite, est-ce que je tape ce que j’ai écrit ? Je décide ça plutôt dans la soirée (alors que j’écris plutôt dans la matinée).
Le maudit : Que lis-tu en ce moment ?
M.Houellebecq : J’essaie de lire Peter Sloterdjik ; j’ai du mal ; sinon, on m’a offert Constantin Cavafy, c’est très beau.
Vincent : Si je devais lire LOVECRAFT, y a-t-il un de ses romans par lequel il est préférable de commencer ?
M.Houellebecq : Je dirais : le tome 1 de la collection « Bouquins ».
Bertrand : Que vous pensez de l’édition libre : donner la possibilité à des auteurs dont les manuscrits ont été refusés d’être diffusés sur le net et d’avoir accès aux lecteurs.
M.Houellebecq : C’est parfait ; mais cela se justifie encore plus pour la musique, à mon avis.
Freddy : Que pensez-vous de la polémique sur le prêt payant dans les bibliothèques publiques ?
M.Houellebecq : C’est plus possible de faire payer ; les Librio sont à 10 F.
Lola : Comment c’était pour vous avant d’être célèbre ?
M.Houellebecq : Moins bien, je l’avoue. Mais c’est surtout l’argent qui m’arrange ; et, plus précisément : la possibilité d’arrêter mon travail. Ça, je ne pouvais plus.
Seb 64 : Rêviez-vous d’être écrivain ?
M.Houellebecq : Non ; je n’avais aucun projet, vraiment.
Seb 64 : Tous ces gens que vous attirez, les journalistes qui vous traquent, ça vous amuse beaucoup non ?
M.Houellebecq : Les journalistes, ça va bien. De temps en temps les gens qui me reconnaissent dans la rue, j’ai du mal.
Philippe : Taper la discute comme ça, sur le Net, sans voir tous ces gens qui vous posent des questions, ca ne vous effraie pas un peu ?
M.Houellebecq : C’est moins effrayant que la télé ; on peut déjà se faire un premier début d’idée, en une phrase, sur la personne.
Emilie : Alors ça vous a plu ?
M.Houellebecq : Oui, c’est marrant ; mais c’est parce que les gens me connaissent un peu, donc fantasment moins ; sinon ça doit être horrible.
Emilie : Y a-t-il une différence entre se faire interviewer par des professionnels ou des amateurs’ ?
M.Houellebecq : Faible, quand on n’est pas soi-même un « professionnel » ; ce qui n’est pas possible quand on fait de brèves périodes d’interviews intenses, entrecoupées par de longs silences.
Pouchibou : L’association des amis de Michel Houellebecq a vu le jour. Vous sentez-vous en voie de disparition ?
M.Houellebecq : Oui. c’est vrai que c’est une première pelletée de terre ; mais je ne le prends pas mal.
Karine : Pourquoi ne tenez-vous pas une chronique aux Inrocks ?
M.Houellebecq : J’ai arrêté parce que je voulais ne plus écrire que Les particules élémentaires ; je ne vais pas recommencer immédiatement, pour des raisons du même genre.
Mediator : Michel Houellebecq, le mot de la fin ?
M.Houellebecq : JE PEUX RECOMMENCER ; SALUONS LA RÉUSSITE TECHNIQUE ; PRÉFÉRONS QUAND MEME LA VIE, À DOSE RAISONNABLE.