Tout se passe désormais comme si le dieu du hip-hop, dans sa grande mansuétude, avait décidé d’envoyer chaque année un album-talisman pour l’été. Un de ces disques porte-bonheur peu soucieux de faire avancer le schmilblick mais dans lesquels il fait sacrément bon se lover à l’époque du farniente. Comme Jurassic Five l’an passé, Ugly Duckling […]
Tout se passe désormais comme si le dieu du hip-hop, dans sa grande mansuétude, avait décidé d’envoyer chaque année un album-talisman pour l’été. Un de ces disques porte-bonheur peu soucieux de faire avancer le schmilblick mais dans lesquels il fait sacrément bon se lover à l’époque du farniente. Comme Jurassic Five l’an passé, Ugly Duckling lorgne vers les héros du passé et prend un malin plaisir à régresser. Leur univers est aussi coloré et arrondi aux angles que ces grafs old-school qui proclamaient « Bonne fête maman » en lettres géantes sur les wagons du métro new-yorkais au début des années 80. Et doté de la même malice que ces chefs-d’oeuvre inachevés où le graffeur avait eu le temps de préciser « Voilà les flics » ou « Ma bombe (aérosol) bleue m’a lâché. » Comme son nom l’indique, Fresh mode est frais. Une leçon de simplicité garantie 100 % optimisme et pure allégresse, où les farceurs Andycat et Dizzy font rimer sans complexe « big salami » avec « origami » et « fader » avec « cheese grater », le genre de blague bon enfant dont leurs mamans n’auront jamais à rougir. Bourrés de citations ludiques, les scratches bavards de DJ Young Einstein leur répondent sur une série de grooves malins et gravement contagieux qui valaient bien l’hommage appuyé des deux MC à leur DJ (Einstein’s takin’ off ) dans la plus pure tradition de leurs idoles. Des héros qu’il faudrait être sourd pour ne pas identifier, avec les balises clignotantes qu’offre Do you know what I’m saying , dont la majorité des rimes se sert avec jubilation chez Eric B et Rakim, EPMD, A Tribe Called Quest ou Biz Markie. « La fin du monde est proche ? Envoyez-là par ici. » Le trio originaire de Long Island la patrie du G-funk, cette mauvaise plaisanterie tombée en désuétude prouve qu’il n’est point besoin à l’aube de l’an 2000 de froncer le sourcil et de se prendre au sérieux pour remuer les foules. « Bitch », « Lexus », « champagne » et autres « guns » ? Mieux vaut en rire (Now who’s laughing ) et porter par dérision, comme Young Einstein, une ridicule chaîne en toc aussi épaisse qu’un salami pour conjurer toute tentative de l’ego de revendiquer sa part du gâteau. Et même s’il y a fort à parier qu’on aura odieusement trompé ces vilains canards dès la fin de l’été, on pourra toujours y revenir car, avec eux, il fait soleil toute l’année.