En janvier 2001, le Centre de la jeune création contemporaine, co-dirigé par Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, ouvrira ses portes au Palais de Tokyo. D’ici-là, les deux architectes bordelais Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal aménagent le bâtiment qui a connu de nombreuses modifications depuis sa création en 1937.
Comment avez-vous pris connaissance du projet du Centre de la jeune création contemporaine ?
Un peu avant que l’appel d’offre soit lancé, nous avons entendu dire dans des discussions informelles qu’un Centre sur la jeune création contemporaine allait se créer à Paris. Suite à l’appel d’offre public, on a envoyé notre candidature avec l’espoir d’être retenu sachant qu’on était une centaine de postulants pour peu d’élus.
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Quel projet avez-vous présenté ?
La première phase de sélection se joue sur les références. On envoie un dossier avec ce que l’on a déjà fait, et c’est au jury de décider ce qui parait le plus intéressant. Cela veut donc dire que nous n’avons n’a pas été choisi sur nos références de musées ou autres bâtiments publics, mais sur le sens que nous donnons à notre travail, sur notre style d’architecture.
Quel est votre style ?
Nous ne sommes pas dans l’architecture sophistiquée, propre et lisse. Notre style correspond à notre centre d’intérêt pour les habitations. On s’intéresse aux gens qui habituellement ont accès à des petits pavillons standardisés et pour lesquels il nous semble intéressant de proposer un vrai travail d’architecte. Avec les techniques de l’architecture contemporaine, on peut lutter contre le petit pavillon étriqué de 80m2 et proposer, pourquoi pas, des sortes de lofts.
Pour quelles raisons pensez-vous avoir été retenu ?
Nous avons les mêmes centres d’intérêts que les artistes contemporains : l’habitabilité et la domesticité. On retrouve cela chez Dominique Gonzalez-Foerster, Xavier Veilhan ou Dan Graham. Nous ne sommes pas dans une logique de l’ uvre d’architecture, mais plus dans celle de donner du plaisir et d’occuper un lieu. C’est une expérience que l’on a acquise en travaillant en Afrique, au Niger, où il y a peu de choses et où il faut se débrouiller.
Le Niger, c’était pour quelle occasion ?
C’était de 80 à 85, après l’école d’architecture. Il fallait travailler sur des projets d’urbanisme et d’habitat, et observer comment les Nigériens se fabriquaient des abris de fortunes avec beaucoup d’imagination et d’intuition. Cela paraissait intéressant par rapport à l’ architecture occidentale traditionnelle.
Qu’entendez-vous par traditionnel ?
Les musées froids où tout a été étudié jusqu’au moindre boulon, dans lesquels la vie n’existe pas, où on l’impression que si on fait un pas on va salir
Alors quelle est votre vision des choses ?
On travaille sur l’économie des moyens. Ce n’est pas pour faire moins cher, mais parce que cela stimule l’intelligence. On se demande toujours comment faire le plus possible avec le moins possible. Ce sont des réminiscences de l’Afrique où il y a un minimum de choses et avec cela on arrive à faire beaucoup, à faire sourire, rire.
Qu’avez-vous donc proposé pour le projet du Centre de la jeune création contemporaine ?
Suite aux présélections, on s’est retrouvé à trois équipes pour découvrir le lieu, et puis on nous a dit : « vous avez une semaine pour nous bâtir un projet. » Comme le temps nous manquait, on n’a pas fait de projet mais plutôt évoqué nos intuitions. Une semaine après, on s’est donc retrouvé devant le jury composé de Jérôme Sans, Nicolas Bourriaud, les futurs directeurs et d’autres personnes de la DAP, la Délégation aux Arts Plastiques. On a trouvé que cet endroit en friche était beau et insisté sur la particularité du bâtiment : l’extérieur est lourd et monumental et l’intérieur très aéré avec une finesse des structures et une qualité de l’espace. On pensait qu’il fallait jouer sur ce décalage. Pour un bâtiment de ce volume, on s’aperçoit aussi qu’il y a une permanence de la lumière du jour. Alors que si on va à Beaubourg il fait noir dans certaines salles. Ici, il y a une lumière absolument incroyable. Il fallait donc déterminer une hiérarchie des interventions avec un budget financier très serré, on nous a précisé qu’il fallait positiver plutôt que se lamenter. Concrètement ça veut dire laisser les choses comme elles sont.
Le Palais de Tokyo est quand même un bâtiment chargé d’histoire et de styles architecturaux ?
Oui, une fois que la philosophie du lieu a été déterminée, il a bien fallu se pencher sur l’histoire du bâtiment. Au départ, il a été construit en 1937 pour L’Exposition Universelle. C’est un bâtiment à usage d’exposition de sculptures et de peintures, c’est pour cela qu’il y a beaucoup d’ouverture et de verrières. Il a eu sa vie de bâtiment d’exposition, puis la FEMIS, l’école de cinéma, est venue s’installer au troisième étage. Là-dessus, en 1983, le projet du Palais du cinéma a été lancé, les travaux ont duré un an et demi : le bâtiment a été désossé, les habillages et les cloisonnements enlevés et les murs percés’Et puis subitement, les travaux se sont arrêtés parce qu’il y a eu un changement de décision. Le bâtiment est donc resté dans l’état jusqu’à aujourd’hui.
Vous travaillez sur les lieux, vos bureaux sont au troisième étage. Est-ce habituel pour des architectes de travailler sur le lieu même du chantier ?
C’est important d’être sur place parce que nous n’avons pas une connaissance exacte du bâtiment. Les plans d’origine de 1937 sont très difficiles à trouver, par la suite ils ont été modifié à plusieurs reprises. Notamment quand la FEMIS s’est installée : des mezzanines ont été créées, des ouvertures calfeutrées, sans parler du projet du Palais du cinéma qui a laissé beaucoup de traces. Il a donc fallu prendre des mesures conservatoires, tester la solidité du bâtiment, et couler des dalles en béton pour assurer la solidité du plancher.
Dans ce contexte, les normes de sécurité doivent être un vrai casse-tête ?
Oui et il faut que l’on se sorte de cet imbroglio d’informations sachant que cet endroit doit accueillir environ 2500 personnes, et qu’il va y avoir des uvres d’art, donc des charges importantes.
De tout cela dépend donc votre intervention ?
Nous nous sommes fixés quatre objectifs : la stabilité du bâtiment, les règles de sécurité, le chauffage du bâtiment et enfin la luminosité. Ce bâtiment va être ouvert jusqu’à minuit et donc il faut un éclairage performant.
D’autres interventions encore ?
Nous allons irriguer électriquement le bâtiment pour que les artistes puissent brancher leurs appareils un peu partout. On va faire un sol de type industriel en béton. Nous voulons conserver cet aspect de friche industrielle tout en ajoutant un peu de confort avec un éclairage de type supermarché et un chauffage de type industriel. En faisant tout ça, on aura pratiquement dépensé l’argent disponible.
Donc vous n’allez pas toucher aux murs ?
Ils resteront tels quels : craquelés. Ce n’est pas un musée, c’est un centre d’exposition et de production, les murs blancs ne sont donc pas obligatoires. C’est pour nous l’ouverture maximale du lieu par rapport aux artistes : on ne les oblige pas à être dans un musée aux murs blancs. La seule opération de grande envergure touchera le troisième étage où l’on ne voit plus un mètre carré de lumière. La faute à la FEMIS qui pour des raisons de fonctionnement a entièrement obstruée les verrières des toits du Palais de Tokyo. Nous avons donc proposé de démolir cette partie et de la rendre à la lumière. L’objectif étant de rendre le troisième niveau identique au rez-de-chaussée : lumineux et spacieux.
Est-ce une nouvelle voie pour l’architecture d’investir des lieux sans les modifier en y apportant uniquement sécurité, lumière et chaleur ?
C’est par la force des choses que l’on est amené à travailler comme cela. Quand on a peu d’argent, il faut faire des choix. Ça nous rappelle les façons de faire en Afrique avec trois fois rien. Cette idée de ne plus être dans l’ uvre d’architecture mais dans le bâtiment, l’investir, le squatter, sans vouloir le transformer, c’est davantage une réflexion propre à l’art contemporain qu’à l’architecture. Nous aimons bien le terme d’installation : ici, nous installons un centre d’art contemporain dans un vieux bâtiment.
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