L’Église de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours lance le site Mormons and Gays sur lequel elle nuance son discours sur l’homosexualité, appelant à la compassion et au respect de l’Autre. La position des Mormons sur le sujet a-t-elle réellement changé ?
Les mormons auraient-ils décidé d’ouvrir grand leurs bras aux homosexuels ? Au vu du site mormonsandgays.org, lancé le 6 décembre dernier, on dirait bien. L’Église de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours y propose « une conversation sur l’attirance envers des personnes de même sexe » et y affirme qu' »avec amour et compréhension, l’Église tend la main à tous les enfants de Dieu, y compris nos frères gays et nos sœurs lesbiennes« . Dans une série de vidéos, mormons hétérosexuels et homosexuels partagent leurs points de vue sur la question et racontent leurs histoires personnelles. Une femme nommée Dora affirme que l’homosexualité « ne devrait pas être un facteur d’identification ». « Je ne me balade pas en disant « salut je m’appelle Dora et je suis hétérosexuelle ». ça ne devrait pas être différent pour eux » explique-t-elle. Dans une autre vidéo, Suzanne se déclare homosexuelle. « ça fait partie de moi, ça fera partie de moi et je vais bien » assure-t-elle.
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De son côté, le Président de l’Église mormone de l’État du Maine, Roger Carter, invite les familles au dialogue et rappelle que « garder la famille unie est la chose la plus importante« . Autre avancée : l’Église ne conseille plus à ses fidèles homosexuels de se marier avec une personne du sexe opposé, comme le souligne Todd Christofferson, un des douze apôtres de l’Église, dans une vidéo :
« Nous ne présentons pas le mariage hétérosexuel comme la panacée ».
Il explique que chaque histoire est unique, que certains trouvent leur bonheur dans un mariage hétérosexuel malgré leur homosexualité et d’autres non.
Un discours confus
Mais entre deux promesses d’amour et de respect se dessine un discours confus et, en définitive, toujours aussi conservateur. Si l’Église affirme que « l’attirance en elle-même n’est pas un péché » elle rappelle qu' »y succomber l’est« . En d’autres termes, l’homosexualité est acceptée à l’état de simple inclination et les relations sexuelles entre deux personnes de même sexe sont toujours prohibées. Ainsi, Dallin H. Oaks, apôtre de l’Église, rappelle que « la doctrine de l’Église – qui dit que l’activité sexuelle doit seulement survenir entre un homme et une femme mariés- n’a pas changé et ne changera pas ». « Ce qui est en train de changer et ce qui doit changer c’est la façon dont nous aidons nos membres et nos familles à comprendre comment gérer l’attirance pour le même sexe » ajoute-t-il.
Une position qui découle de la stricte politique de chasteté mise en place par l’Église mormone, qui interdit toute relation sexuelle avant le mariage. Or, comme le mariage homosexuel n’est pas reconnu par l’Église, il est par conséquent impossible aux mormons d’avoir des relations sexuelles avec une personne du même sexe. Les mormons homosexuels n’ont donc que deux solutions : rester célibataire ou se marier avec une personne du sexe opposé, un choix qui avait été mis en lumière en juin dernier par Josh Weed, qui justifiait dans un long post de blog sa décision de se marier avec une femme.
On décerne la palme du passage le plus inquiétant au paragraphe intitulé « Une perspective éternelle » qui présente l’homosexualité comme une inclination épisodique. L’Église affirme ainsi que l’homosexualité « ne devrait pas être perçue comme une condition permanente » et ajoute :
« Bien que certaines personnes, dont celle qui résistent à leur attirance pour des personnes du même sexe, n’aient pas l’occasion de se marier avec quelqu’un du sexe opposé dans cette vie, un Dieu juste leur en donnera l’occasion dans leur prochaine vie ».
Une avancée sur la forme
Ce site s’inscrit dans la politique d’apaisement voire d’ouverture déployée par l’Église mormone depuis 2010 suite au tollé qu’avait provoqué son engagement en faveur de la Proposition 8 (la fameuse « Prop 8 »). En 2008, ce référendum proposait d’amender la Constitution de Californie afin d’interdire le mariage homosexuel. L’Église – qui a été plusieurs fois accusée de favoriser les thérapies employées pour « soigner » l’homosexualité – avait alors demandé à ses fidèles californiens de soutenir financièrement et activement la campagne en faveur de cette proposition, ce qu’ils avaient fait en masse. Cet engagement politique, suivi dans les faits, avait déclenché une vague de protestations du côté des soutiens au référendum, dont certains avaient appelé à envoyer une carte au président de l’Église mormone pour chaque donation.
Face au tollé, l’Église mormone a changé d’attitude. En 2009, un de ses porte-paroles a soutenu publiquement de nouvelles réglementations protégeant les homosexuels des discriminations dans les secteurs du logement et de l’emploi. Cette année, l’Église s’est gardée de prendre position sur les référendums qui visaient à légaliser le mariage gay dans plusieurs États américains.
En parallèle, les associations LGBT et mormones se mobilisent de plus en plus. Des mormons défilent aux quatre coins du pays pour réclamer l’ouverture du mariage aux couples homosexuels à l’initiative, notamment, de l’association Mormons Building Bridges. Le site Far Between collecte des vidéos dans lesquelles des mormons hétérosexuels et homosexuels témoignent face caméra. De son côté, Affirmation – créée dans les années 70 – continue, entre autres, d’organiser des conférences de soutien aux mormons homosexuels dans différentes villes américaines.
Reste que le site Mormons and Gays semble être plus une avancée sur la forme que sur le fond, le discours de l’Église mormone n’ayant pas véritablement changé. En 1998, son président déclarait déjà :
« Les gens nous demandent notre position vis-à-vis de ceux qui se considèrent comme gays et lesbiennes. Ma réponse est que nous les aimons comme des fils et des filles de Dieu. Ils peuvent avoir certaines inclinations qui peuvent être puissantes et difficiles à contrôler (…) S’ils n’agissent pas selon ces inclinations, alors ils peuvent aller de l’avant comme le font tous les autres membres de l’Église. S’ils violent la loi de chasteté [l’Église mormone interdit les relations sexuelles avant le mariage, ndlr] et les standards moraux de l’Église, ils seront soumis à la discipline de l’Église, comme les autres ».
Pendant ce temps-là, les États-Unis continuent d’avancer à grands pas sur l’égalité des droits. En témoignent l’élection du démocrate Barack Obama en lieu et place du candidat républicain et mormon Mitt Romney, et le vote dans trois États (Maryland, Maine et Washington) en faveur de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels. Prochaine étape : le jugement que rendra la Cour Suprême sur deux affaires touchant aux droits des couples homosexuels. Elle devra se prononcer sur la constitutionnalité du mariage homosexuel dans l’État de Californie (le mariage homosexuel y a été suspendu après que la fameuse Proposition 8 , votée par référendum, ait été déclarée non-conforme à la Constitution américaine en 2010) et déterminer si une loi fédérale (en l’occurrence la Defense of Marriage Act, qui définit le mariage comme une union entre un homme et une femme) peut introduire des discriminations entre les couples hétérosexuels et homosexuels concernant les avantages sociaux.
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