Traitant l’art des trente dernières années comme un fourre-tout illisible, la collection du musée national d’Art moderne présentée à Beaubourg est pleine de mauvaise foi.
En haut, 1906-1960, la pleine lisibilité des chefs-d’oeuvre de l’art moderne, de Picasso à Yves Klein ; en dessous, de 1960 à nos jours, le fourre-tout ludico-navrant de l’art actuel. Telle est en gros la vision offerte par le musée national d’Art moderne, qui présente ses collections au Centre Georges Pompidou, confortant le public dans sa méfiance à l’égard de la création actuelle. On attend pourtant d’un musée qu’il bouscule nos savoirs tout faits et nos a priori parfois négatifs, qu’il rende pleinement lisibles les enjeux esthétiques, les ruptures et les continuités induites par une oeuvre. A vrai dire, et c’est bien là que se révèle la mauvaise foi de cet accrochage, ce travail a été remarquablement réalisé au cinquième étage par Werner Spies, grand ordonnateur de la nouvelle collection et spécialiste du surréalisme : pour le cubisme par exemple, la confrontation de visu de toiles de Braque ou Picasso avec les statues de l’art nègre est d’une totale évidence. Mais la même opération reste à faire au quatrième étage : ici-bas, sans doute parce que Werner Spies n’est plus aussi clairvoyant quand il s’agit de l’ère contemporaine, l’intelligence manque, la visibilité se dissout, plus de chronologie possible, les années 60, 70, 80 et 90 se mêlent et se valent, et l’éclatement des formes, vraie dynamique de l’art du XXème siècle, n’est plus alors qu’une vaine agitation. De ce point de vue, l’entrée du long couloir consacré aux collections contemporaines est assez emblématique : d’un côté, un « grand bleu » de Klein, en face, le Mannequin d’Alain Séchas, sculpture représentant un homme renversé, la tête plongée dans un seau. Traduction : voilà ce que sont les trente dernières années en matière de pratique artistique, la fin grotesque d’un Saut dans le vide, la chute du sens, cul par-dessus tête.
Sans doute l’art actuel est-il plus difficile à cerner, faute de distance temporelle et en raison d’un éclatement total des supports et des pratiques, mais cela n’empêche pas de tracer des axes, de dessiner des perspectives, pour une vision autre que celle du Grand Fourre-Tout. Les manques de cette collection ne sont donc pas seulement liés à ses lacunes, nombreuses et parfois détonantes (très peu de nouveaux réalistes, rien de Support/Surface, absence notoire de Cindy Sherman, Sophie Calle, Pierre Huygue, Felix Gonzalez-Torres…), ils sont aussi apparents dans le traitement morcelé de certains artistes, tel Bertrand Lavier, dont deux oeuvres seulement ne restituent aucune démarche. Certes, nous dit-on, les salles contemporaines feront l’objet d’un réaccrochage trimestriel susceptible de renouveler ce paysage actuel, sans cesse changeant. Mais si l’esprit demeure, le quatrième étage du musée national ne fera jamais que plaire à ceux à qui l’art contemporain déplaît. Et tant pis pour les autres.
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