Après un premier album au succès miraculeux, Louise Attaque aurait pu se contenter de commercialiser sa recette pas toujours très digeste. C’est au contraire avec un album âpre et intransigeant, Comme on a dit, que reviennent les Parisiens.
Le groupe préférant les micros de scène aux micros de journalistes, nous avons enquêté auprès de son entourage pour savoir comment un groupe « un peu plouc » est devenu le plus gros vendeur de l’histoire du rock français et a préparé la sortie de son deuxième album.
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« Et si, un jour, on se met à vendre des milliers de disques, on pourra le changer, ce contrat ? » : ainsi se déroule le premier contact avec le business (l’éditeur Delabel) pour Louise Attaque, au printemps 96. Assez culotté pour un groupe qui, depuis plusieurs mois, envoie sans réponse ses cassettes à une industrie du disque unanime dans ses réponses jusqu’alors méprisantes.
Mais Louise Attaque a beau être balbutiant, son discours, lui, est déjà éloquent, son univers livré clés en main. « Les Parisiens de Louise Attaque comprennent tout de travers, certains que Noir Désir est un groupe folk, que les Violent Femmes sont des groupies de Miossec, que « violon » s’écrit « violent » et que « basse » est l’abréviation de « baston ». Peu importe, les chansons viriles et sacrément tendues de leur cassette contiennent (à grand-peine) une personnalité déjà enviable et massive. Entre eux et les abracadabrants Cornu, le folk français a perdu la raison. Que personne ne la lui rende », écrivions-nous à l’époque, sur la foi de quelques chansons envoyées au hasard Balthazar. Si bien qu’à l’heure de cette première signature de contrat, le groupe, résolument sorti de l’adolescence, des idées claires en tête, n’accueille pas l’industrie avec une génuflexion de midinette découvrant le prince charmant : « Ce n’était pas des gamins, se souvient Jan Ghazi, directeur artistique chez Delabel Editions. Leur style était déjà affiné, affirmé : il n’y avait rien à changer. Dès le départ, ils utilisaient des éléments visuels en concert, leur univers existait. Ils étaient déjà très organisés, tous inscrits à la Sacem, leurs chansons déjà déposées un sens de l’organisation qui doit venir des études scientifiques de la moitié d’entre eux… Il y avait juste à graisser leur machinerie. »
Pour en arriver à ce bureau, à ce contrat, Louise Attaque a bénéficié de deux alliés de choc : un expert-comptable et la grippe. Le premier, employé de l’éditeur en question et cousin du chanteur Gaëtan Roussel, se charge du lobbying en interne. La seconde, en frappant sournoisement Jan Ghazi en plein Printemps de Bourges, l’empêche d’aller voir Cypress Hill et le laisse, vaseux, dans une tente à merguez où se produit un groupe inconnu : Louise Attaque. « Au début, personne ne connaissait leurs chansons mais, à la fin, la tente était pleine, c’était l’émeute. Mon coup de foudre a été sur la réaction du public. »
Un public que le groupe a, immédiatement, envie d’aller affronter. Mais sans maison de disques, sans album à revendiquer, difficile de monter des tournées aussi vastes et minutieuses que celles de Miossec un exemple dont les Parisiens assureront plusieurs premières parties, avant de lui chaparder son tourneur, Yann Hamon : « A Rennes, je travaille sur la programmation des Bars En Trans et le nom Louise Attaque m’avait plu. Ils avaient déjà, sans la moindre aide, donné une centaine de concerts mais ils voulaient passer à la vitesse supérieure. A la fin d’un concert, en apprenant que j’étais manager et tourneur de Miossec, ils m’ont demandé de m’occuper d’eux. Ils venaient juste d’investir toutes leurs économies dans un stock de cassettes et moi, je leur ai demandé de me les laisser pour trouver des dates. Ils ont hésité, c’était un geste lourd de conséquences que de laisser un tel trésor à un inconnu. Ça a scellé la confiance. Aujourd’hui encore, il n’y a pas de contrat entre le groupe et moi. Ça reste très convivial, amical. »
Avant même de sortir son album, Louise Attaque, sur l’unique foi de ses maquettes, donne une quarantaine de concerts. Immuablement, des publics vierges de toute écoute découvrent en direct les chansons, se font emporter par l’énergie communicative. C’est finalement le directeur artistique Marc Thonon qui signera Louise Attaque pendant l’hiver 96 sur son label flambant neuf, Atmosphériques.
Un tourneur, un manager, un éditeur et, finalement, une maison de disques : l’attaque en règle du monde libre (enfin, francophone) peut commencer. Marc Thonon : « Je connaissais le groupe de nom, depuis que j’avais lu la chronique dans Les Inrockuptibles. En douze années de direction artistique, je n’avais jamais entendu une telle proportion de bonnes chansons que sur la première cassette de Louise Attaque. Je pensais qu’en travaillant bien, on arriverait à vendre 30 000 exemplaires de leur premier album, parce que c’était un bon groupe de scène. »
D’entrée de jeu, une chose impressionne les interlocuteurs de ce groupe, pourtant puceau de toute expérience musicale : la précision et le pragmatisme de ses désirs. « Il y avait le côté naïf, branleur d’un groupe de rock, avec ses rêves de démocratie, se souvient Jan Ghazi. Mais en même temps, ils avaient réfléchi à leur identité, la discussion avait déjà eu lieu : une identité de gauche, traditionnelle et étudiante. Ils vivent dans un système compliqué, avec des droits de vote, des argumentations et des contre-argumentations, qui durent pendant des heures. Avec beaucoup moins de gros mots que dans un groupe de rock. »
Logiquement, fidèle à un amour insensé pour l’acoustique sèche et rêche de ce groupe marquant du folk-rock américain du début des années 80 que furent les Violent Femmes, Louise Attaque (autre femme violente) invite leur leader, Gordon Gano, à produire leur premier album. Dans ses valises, il emporte Warren Bruleigh, coproducteur et cheville ouvrière. Car s’il se sent architecte sonore, Gano est incapable de mettre les mains au ciment : il lui faut un ouvrier pour construire le son. Sur Louise Attaque, pendant que Gano réfléchit, des doigts s’agitent sur la console : ceux de Warren Bruleigh ou d’Erwin Autrique, l’un des ingénieurs attitrés du studio bruxellois ICP.
L’album sort finalement le 22 avril 97.
Immédiatement, le feedback des magasins stupéfie la maison de disques. Quinze jours après la mise en place des 3 500 exemplaires (!) initiaux de l’album, les rapports des représentants régionaux sont unanimes dans l’euphorie : plus de la moitié des disques sont déjà écoulés, réussite rare pour un jeune artiste français.
Comme souvent, c’est Bernard Lenoir qui, le premier, ouvre son antenne aux chansons de Louise Attaque. Un vieux loup de mer devait bien ça à ces chansons de marins d’eau douce. « On lui avait envoyé une cassette anonymement et, le soir même, il la passait à l’antenne », se souvient-on à la maison de disques. Bernard Lenoir : « Je ne savais pas si le groupe était signé ou non, sa cassette finie ou pas, mais j’ai immédiatement craqué. Et quand j’aime bien un truc, je n’y vais jamais avec le dos de la cuillère, j’ai énormément passé ces chansons, bien avant qu’elles ne sortent dans le commerce. Et j’ai continué après leur triomphe, je me suis même battu pour les faire passer à La Route du Rock en 97 un concert que j’ai diffusé plusieurs fois depuis. J’aime ce côté craché, vomi, qui me rappelle Brel. »
Chez les auditeurs de Lenoir, de Ouï FM ou des radios rock fédérées par la Férarock, on sent alors une mobilisation générale : un front du refus aux musiques diffusées ailleurs, une porte claquée au nez bouché des laiderons eurodance, au minois minant des minets boys’ bands, aux épuisants bégaiements d’un rap français qui attend alors morosement sa relève. Marc Thonon : « Les mômes qui avaient pris goût à la musique « grâce » aux boys’ bands avaient envie d’autre chose. Sur la première tournée de Louise Attaque, le public avait dix ans de moins qu’eux. Leur album est arrivé à un moment où une génération s’est passionnée pour la musique de façon spontanée et naïve, sans les codes d’accès dont nous avons besoin : c’est une génération hors média, qui méprise les radios dominantes, qui écoute la musique dans les bars Miossec avait été le premier à toucher cette génération. Chez Louise Attaque, deux publics se côtoient sans se connaître. »
Une légende, tenace, attribue à la seule scène le succès inouï du premier album de Louise Attaque. S’il est vrai que le démarrage fulgurant de Louise Attaque provenait effectivement d’une base de fans glanés sur les bords de la route, le triomphe, lui, passera fatalement par les réseaux FM, qui se réveilleront tard mais en fanfare. C’est RTL qui, juste après Lenoir, est la première radio périphérique à s’enthousiasmer, sous la houlette de son programmateur Alain Tibolla : « Tout de suite, j’ai été intéressé par la tonalité et le son du groupe, par ce côté à la fois sophistiqué et direct. Mais je ne savais pas si leur musique s’inscrivait dans la politique éditoriale de l’antenne. Nous avons quand même tenté le coup. »
« J’ai autour de moi un réseau d’informateurs, d’oreilles jeunes, qui m’ont parlé très tôt du groupe, raconte Christian Lefèvre, programmateur de Fun Radio. Ça bougeait déjà dans les lycées quand je suis allé les voir une première fois au New Morning. Mais pour les faire entrer sur l’antenne de Fun, il a fallu me battre, même sur une radio jeune dont le rôle est de créer les modes. Louise Attaque, c’était une interrogation. Est-ce de la chanson rive gauche ? Du rock ? » Fun Radio commence à diffuser Je t’emmène au vent quand l’album a déjà vendu plus de 300 000 exemplaires ; NRJ prend, contraint et forcé par la pression de son auditoire, le train en marche alors que Louise Attaque a déjà touché 700 000 fans.
« Même si ma culture est plus rock que dance, je ne savais pas quoi faire de Louise Attaque, se souvient Christophe Sabot, alors programmateur de NRJ. J’étais certain que notre auditoire ne suivrait pas, il n’y avait quasiment pas de rock sur notre antenne. C’est quand j’ai entendu leur single sur Fun Radio que j’ai changé d’avis. On les a d’abord diffusés dans les émissions pour les gamins, puis sur le reste de l’antenne. Ensuite, leur succès nous a totalement dépassés. Car même s’ils avaient déjà vendu beaucoup de disques, ils étaient de parfaits inconnus pour les auditeurs de NRJ. Je me suis rendu compte un jour que ma fille de 10 ans qui n’écoute pas les radios pour lesquelles je travaille était fan de Louise Attaque : c’est là que j’ai mesuré le phénomène de masse. Ils sont aussi importants et emblématiques pour cette génération que Téléphone l’était pour la mienne. »
Marc Thonon se souvient de sa première visite dans les bureaux de NRJ, son petit album sous le bras. « Quand je suis allé voir le programmateur de NRJ, alors que nous n’en étions qu’à 30 000 albums vendus, il a arrêté le disque au bout de deux chansons : « C’est hors format. » Ça ne les a pas empêchés d’y revenir plus tard. Quand Louise Attaque s’est retrouvé, en février 98, en tête du Top 5 des auditeurs de Fun Radio, le programmateur était persuadé que j’avais fait téléphoner des gens, qu’il y avait eu une cabale. Après dix jours en tête de ce classement, Louise Attaque a commencé à être programmé à l’antenne. Ils sont rentrés sur les FM par la petite porte, même si c’est ensuite grâce à elles que l’on est passé de 700 000 ventes à deux millions. »
Fidèle en amitié, c’est à la source même de son succès que Louise Attaque rendra hommage dès cette semaine en (re)visitant les salles affiliées à la Férarock, les premières à avoir accueilli le groupe alors débutant. Yann Hamon : « Les concerts, au moins, c’est quelque chose que le groupe peut contrôler. Les ventes d’un disque, ça lui échappe totalement. Par exemple, on a refusé de sortir des singles pour alimenter les FM. Mais elles en ont inventé elles-mêmes, en prenant des morceaux de l’album. Ce n’est pas par caprice si on invite désormais la presse à venir nous rencontrer après nos concerts dans ces petites salles de province, dans des tables rondes où participent les radios locales : ces gens-là sont d’authentiques passionnés de musique, ils se moquent du phénomène, ils s’intéressent à Louise Attaque uniquement pour les chansons. En fait, ce n’est pas facile d’être ce qu’on veut être en vendant autant de disques, avec une telle notoriété. »
Un problème de positionnement qui, visiblement, taraude Louise Attaque : qu’il joue désormais dans les petites salles de la Férarock et on l’accusera de démagogie ; qu’il joue à Bercy et on lui reprochera de se vendre. Mouise Attaque. Marc Thonon : « Plus que la taille de la salle, voilà la seule chose qui les préoccupe : « Est-ce qu’on peut donner un bon concert dans ces conditions ? » « Leur image de marque, ils s’en fichent pas mal, confirme Jan Ghazi. Pour l’industrie du disque, ils ont toujours eu un côté un peu plouc, personne ne voulait d’eux. Eux savaient qu’ils ne seraient jamais un groupe pour branchés : l’intention était de séduire uniquement par la musique. »
Les groupes de rock étant volontiers pleurnicheurs, on a connu beaucoup de musiciens se plaignant du succès en ce qu’il les dépossède de leur musique. On se souvient de Kurt Cobain se désespérant de vendre des disques à tous ces gens qui l’avaient jusque-là cordialement méprisé, des chauffeurs-routiers aux machos de lycée. D’un commun avis dans leur entourage, jamais les Parisiens de Louise Attaque n’ont ainsi craché dans la soupe, méprisé leur triomphe organisé avec suffisamment de méthode pour éviter les parasites de l’exercice.
En n’apparaissant que modestement sur ses deux seules et uniques vidéos, en ajournant la diffusion d’un rockumentaire de 52 minutes sur son éclosion, le groupe a réussi à totalement préserver son intimité, à conserver dans sa bulle le processus créatif. « Leur plus grande fierté, confirme Marc Thonon, c’est qu’ils peuvent continuer à marcher dans la rue sans être remarqués, ce qu’aucun musicien ayant vendu autant de disques qu’eux ne peut se permettre. Quand les ventes se sont emballées, ils ont cessé toute promotion. A deux millions d’exemplaires, on a même augmenté le prix de l’album pour freiner les ventes et disparaître plus rapidement des charts. C’était la seule façon de faire retomber la pression. »
Plutôt que de se morfondre à la maison en regardant, incrédule, tomber les chiffres de vente, Louise Attaque a préféré sortir pour se dégourdir les jambes, histoire de se vider la tête. Deux cent cinquante concerts et des exercices d’écriture ininterrompus ont ainsi empêché le groupe de trop scruter son nombril ou de cultiver en appartement ses doutes existentiels. Une façon de se poser les questions infiniment petites (« Le son de la salle est-il bon ce soir »), histoire de ne pas se poser les grosses qui paralysent (« Serons-nous capables de faire un deuxième album ? »).
C’est ainsi, en étant têtu et borné, que Louise Attaque a enregistré « dans la sérénité » son deuxième album. Farouchement secondés par leur avocat (qui renégocie les contrats et la redistribution de biens désormais colossaux), protégés par leur management, Arnaud Samuel, Gaëtan Roussel, Alexandre Margraff et Robin Feix partaient enfin, fin juillet 98, en vacances sans Louise Attaque, ce pot de colle. Et quand le groupe se retrouve en octobre dans un studio parisien, les chansons coulent à nouveau de source, ignorant tout des pollutions extérieures. « Ce sont des torturés, ils se sont très vite posé des questions, rappelle Marc Thonon. Et ils se sont astreints à une discipline de travail énorme : cinq jours sur sept, de 11 h à 23 h minimum. C’est un vrai travail à l’ancienne : l’un apporte un riff de violon, l’autre une suite d’accords, le troisième une ligne de basse, le quatrième une rythmique et ils jamment pendant des heures. »
« C’est vrai qu’ils sont bosseurs, confirme Jan Ghazi. De manière régulière, attentifs, ils m’amenaient leurs nouvelles chansons, soumettaient leurs travaux. La transition entre les deux albums a été très souple : le processus de création était déjà largement engagé avant le gros succès. Bien sûr, les chansons ne sont plus aujourd’hui écrites dans une chambrette ou sur un zinc de bistrot. Pour leurs maquettes, ils se sont enfermés hermétiquement dans un studio, avec la volonté de se prendre la tête et de trouver une autre façon de mettre en forme les nouvelles compositions, de nouvelles formes d’arrangements. Ils ne voulaient plus être seulement un groupe qui fait des chansons et des concerts, mais aussi un groupe qui enregistre des disques. Il y avait un cap à passer. »
Fort de ses maquettes, Louise Attaque part à New York en mai 99 retrouver Gordon Gano et Warren Bruleigh, à titre de conseils. Car le groupe a d’autres idées de productions en tête, notamment du côté de Ben Harper. Mais il fait à la paire américaine, préservée du phénomène français et des hypocrisies ad hoc, une confiance aveugle. « Nous avions l’impression de ne pas avoir été au bout de ce que nous pouvions réaliser ensemble sur le premier album, explique aujourd’hui Louise Attaque. Qui d’autre qu’eux nous connaissent à ce point ? A qui d’autre qu’à ceux qui y ont cru avant tout le monde confier le soin de nous emmener plus loin ? » « Gordon et Warren ont été très francs ce jour-là. Entre ces maquettes et le résultat final, ils ont d’ailleurs changé pas mal de choses, se souvient Marc Thonon. Et comme pour le groupe ils sont comme des juges de paix, ils ont immédiatement été rassurés. »
Rassurés ? On en entend pourtant des belles sur Comme on a dit, ce deuxième album. « Qu’est-ce qui m’arrive ? Qu’est-ce que je fais encore ici ? Faut pas s’laisser gagner par l’euphorie de croire qu’on est un homme important », assène le groupe dès l’intro de son nouvel album, avant d’ajouter plus loin : « L’infiniment grand, petit, ici on déteste. » Le « on » est important : il rappelle que Louise Attaque demeure une authentique personne. Morale et physique. Qui ne parle que d’une seule voix, quatre cerveaux branchés en réseau, sans bugs visibles de l’extérieur.
L’argent, ce redoutable brise-défense, aurait pu desserrer les coudes : il les a au contraire soudés, le groupe ayant choisi de rester uni dans une tempête qui emporta en son temps Téléphone. Marc Thonon : « Je les sens plus solidaires que jamais. Ils sont extrêmement sains par rapport à cet argent, même s’ils savent ce qu’ils valent et qu’ils ne se gênent pas pour nous le rappeler. Plutôt que d’acheter des voitures, ils prennent toujours le métro. »
Un retour à la normale (peut-on parler de retour quand on ne l’a pas quittée ?) qui passerait pour un habile marketing de la simplicité, s’il n’y avait, derrière le discours, des actes discrets. On se souvient, dès les premières chansons, de cette déclaration de foi que le groupe gardera en bannière : « A l’apogée de l’imposture, on a ceux qui parlent d’eux. » Ainsi, le groupe refuse encore et toujours d’apparaître dans des émissions pourtant réputées « sérieuses » (Ruth Elkrief, notamment, qui attendra septembre) pour choisir Nulle part ailleurs, privilégiant l’expression directe : la musique live.
Il y a aussi cette lettre, trop gauche pour ne pas être sincère, qui accompagne les envois à la presse de Comme on a dit : « Leur discrétion peut paraître frustrante, compte tenu des habitudes en vigueur dans le métier, mais sachez-le, il ne s’agit en aucun cas d’un choix stratégique de rétention d’information dicté par leur nouveau statut. »
Il y a surtout, enfin, un nouvel album, Comme on a dit. Un disque beaucoup plus émancipé que le premier, où Amours et La Brune se contentaient de paraphraser les Violent Femmes, tandis que le comique Léa singeait Karen, cet hymne emprunté par les Little Rabbits aux Go-Betweens. Un disque dont on se demande encore, tant il demeure artisanal, bancal et éclopé, comment il peut s’enorgueillir de ce titre absurde : le disque de rock français le plus vendu de l’histoire.
Ce qui impressionne aujourd’hui d’entrée sur Comme on a dit, c’est l’humilité des ambitions, l’hospitalité revêche, alors qu’il aurait été si facile d’ouvrir en grand ses portes, de baisser la garde au lieu de la hérisser de tessons de bouteille. Visiblement, le groupe a trouvé que la foule commençait à piétiner salement ses plates-bandes et a décidé de limiter l’accès : vocaux souvent enterrés sous le granit rythmique, chant brutal et direct, plus porté sur les maux que sur les bons mots, chansons perturbées jusqu’au maladif (le sombre et magnifique Sans filet ou le déglingué La Ballade de basse). C’est là où les évidentes limitations du groupe sa rythmique, ses arrangements étroits (Comme on a dit, La Plume) se révèlent finalement un atout dans cette volonté de conjurer l’insensé, la démesure : au lieu de chiner le luxe, Louise Attaque part précisément dans l’autre sens, s’installe dans une austérité et un dénuement qui, de La Ballade de basse à Tu dis rien, évoquent résolument plus Joy Division ou Orchestre Rouge que Matmatah ou Licence IV.
Comme si, en fuyant les projecteurs, Louise Attaque avait foncé tête la première dans l’ombre, dans ces recoins menaçants que le premier album n’avait jamais envisagés. Sur La Ballade de basse, Tu dis rien ou Du nord au sud, trois des sommets escarpés de cet album, on retrouve même le son cagneux et salement personnel qui nous faisait adorer les premières maquettes ébouriffées de Louise Attaque, avant qu’elles ne se fassent ratiboiser par la coupe GI de Gano et Bruleigh. Du coup, on persiste et signe : le folk de Louise Attaque a perdu la raison, que personne ne la lui rende.
Comme on a dit (Atmosphériques).
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