Muse, après une courte tournée française (à guichets fermés) ces derniers jours, sera de retour dans l’Hexagone plus longuement au printemps. Le premier album du trio anglais, Showbiz, est sorti en 99.
Muse affiche une moyenne d’âge de 22 ans et votre musique se veut l’écho de cette jeunesse, de cette immaturité. Du coup, il est très difficile de se faire une idée précise quant à ta culture musicale.
Je n’ai pas une grande culture musicale, pas du tout. Sans doute parce que j’ai toujours préféré jouer qu’écouter, toujours préféré le mouvement à la passivité. Pendant des années, mon rapport au rock s’est cantonné aux concerts, donc une expérience collective, quelque chose que je pouvais partager avec mes potes de 13, 14 ans, en bande. Dans la région où j’habitais, le Devon, on allait voir des concerts de Wedding Present, Carter USM, Senseless Things, These Animal Men, ce genre de groupes, juste pour rire, sauter dans tous les sens… A la même époque, j’ai fait une grande partie de mon éducation rock dans les festivals d’été, en Angleterre, comme n’importe quel adolescent britannique normalement constitué. Je garde un souvenir incroyable d’une édition précise du festival de Reading c’était en 1994. J’y ai vu au cours de la même journée deux concerts qui ont complètement changé ma vision de la musique. D’abord Rage Against The Machine, dont l’énergie était ce jour-là totalement invraisemblable. Je n’avais jamais vu des types se dépenser à ce point-là, donner autant d’eux-mêmes. Une grande expérience physique, au sens tribal, ethnique… Avec Rage Against The Machine, que je continue à beaucoup aimer aujourd’hui, j’ai eu la confirmation que le rock devait être une expérience corporelle, pas seulement une nourriture pour l’âme. Le même jour, toujours à Reading mais sur une plus petite scène, j’ai vu un concert magistral de Jeff Buckley. Je ne savais pas qui était ce type, je n’avais même jamais entendu son nom, et là, d’un seul coup, il est entré dans ma vie en chamboulant tout ce que je croyais savoir des mélodies, des harmonies, des limites de la musique. C’était vraiment le choc idéal pour faire suite à Rage Against The Machine : après les nerfs, l’esprit… Je n’avais jamais senti à ce point qu’on pouvait être porté par ses chansons, traversé par elles, voire débordé par sa musique. Sa voix telle qu’elle sonnait ce jour-là est d’ailleurs toujours en moi aujourd’hui. Depuis, un seul concert m’a fait le même effet : Tom Waits, à New York, il y a quelques mois. Tom Waits et son sens extraordinaire de la mise en scène, des lumières, son génie esthétique, théâtral. En voyant Tom Waits en concert, je me suis dit qu’un artiste pouvait donc vieillir et rester pertinent. Ça me donne du courage pour la suite de ma vie avec Muse… Les gens sont fascinés par les trajectoires fulgurantes de Nirvana, de Jimi Hendrix, ou même des Beatles. Moi, tout ça m’ennuie : mourir à 30 ans pour le rock ou à cause du rock ne m’intéresse pas du tout, je préfère vraiment prendre Tom Waits pour modèle. De la musique, j’attends une satisfaction, des joies, une forme d’élévation pas des larmes.
Les disques n’auraient donc jamais vraiment compté dans ta vie ?
L’histoire du rock m’intéresse beaucoup plus aujourd’hui. Je veux apprendre certaines choses, remonter des pistes. Récemment, je suis passé de Tom Waits à Captain Beefheart, et évidemment, j’ai été fasciné par ce que j’ai découvert. C’était tellement différent de ce qu’on écoutait chez moi, quand j’étais gamin : Elvis Presley et Abba les idoles de ma mère ou les vieux disques de blues de mon père qui, lui, était guitariste professionnel et se passionnait pour des vieilles légendes comme Robert Johnson.
S’il te fallait quand même citer un disque « au-dessus des autres » ?
Ce serait Bookends de Simon & Garfunkel, pour l’écriture et les harmonies vocales.
Les mélodies de Muse, comme tes textes, semblent avant tout dictées par l’urgence, l’instinct. Tes lectures n’ont pas l’air d’influer sur ce que tu écris.
C’était un parti pris pour le premier album : avancer sans trop réfléchir, dire ce qui me passait par la tête. La majeure partie des textes est venue après les mélodies, de manière phonétique ou totalement inconsciente, en improvisant. A l’avenir, je ne le referai plus : je ressens maintenant le besoin de coder les choses, de me protéger… Je ressens aussi le besoin de nourrir mon inspiration par la lecture, par des romans, des nouvelles. Parce que, jusqu’à ce jour, je n’ai été obsédé que par des livres liés à des questions scientifiques. J’adore tout ce qui touche aux technologies, aux sciences appliquées, à l’évolution de la connaissance. Tout ce qui touche à la cyberculture me plaît également beaucoup. Au rayon fiction, le seul livre qui m’ait comblé a été My idea of fun de Will Self, mon auteur préféré. J’aime l’honnêteté totale de Will Self, son incapacité à s’interdire d’écrire certaines choses, donc d’aller parfois trop loin.
Deux mots de cinéma pour terminer ?
Mon film préféré : Le Parrain. Mon acteur préféré : Al Pacino. Je suis fasciné par ces personnages de gangsters, d’outsiders, par ces types constamment en équilibre, évoluant juste en marge de la société, tout près du bord, tout près de la chute.
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