Interrompue par une bronca obscène, Médée revue et sublimée par Krzysztof Warlikowski triomphe au final de l’adversité au Théâtre des Champs-Elysées.
Sublime, forcément sublime… c’est évidemment la référence à Marguerite Duras qui vient à l’esprit quand il s’agit de qualifier Médée de Luigi Cherubini (1797) présentée au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction musicale de Christophe Rousset dans la mise en scène du Polonais Krzysztof Warlikowski. Et l’on ne saurait trop défendre le parti pris de l’éclairage très cru voulu par Warlikowski qui explose le mythe grec de la femme infanticide pour le recomposer dans ses multiples facettes à travers des destinées borderline qui ont construit la légende violente d’une condition féminine confrontée à l’âpreté de nos temps dits modernes.
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Descendante en droite ligne du Soleil, la part lumineuse de Médée emprunte au glamour et à l’irrésistible séduction qui caractérisait la figure de la chanteuse Amy Winehouse, reine incontestée et destroy de la scène anglaise disparue il y a peu emportée par le désespoir et l’addiction. Ainsi, c’est maquillée à l’image de la star et juchée sur les talons interminables d’une paire de vertigineux stilettos qu’apparaît, gainée dans un fourreau de cuir noir, la soprane d’origine allemande Nadja Michael. Voilà donc celle que personne n’attend, débarquant comme une chienne au milieu d’un jeu de quilles pour demander des comptes à son ex mari Jason (John Tessier), le jour du mariage de celui-ci avec une oie blanche, la jeune Dircé (Elodie Kimmel) la fille du très puissant roi Créon (Vincent Le Texier).
Femme amoureuse ayant trahi son père et tué son frère pour gagner les faveurs de Jason, Médée renoue avec le meurtre en s’en prenant à leurs propres enfants tout comme à la nouvelle maîtresse de celui qui l’a répudié… Pour Krzysztof Warlikowski, cette part d’ombre renvoie d’abord au réel, à la chronique de nos faits divers. Pour feuille de route, il fait sienne la justification que donnait Marguerite Duras de sa prise de position dans l’affaire du meurtre du petit Gregory en 1984…
« Ce n’est pas un reportage, la littérature, ce n’est pas un récit non plus, c’est une transgression de soi vers l’autre, une prise en charge de l’autre jusqu’à son crime, nu, entier, pas défiguré par la morale. »
Voici donc l’opéra de Cherubini mis à nu jusqu’à l’os et son livret retravaillé à l’aune d’un dialogue moderne qui fait dire à Médée, « Tout ça pour lui, tout ça pour lui ! Je suis encore pleine de ses mots. Son corps son sexe, son sperme. Mensonges ! » et dans la bouche de Jason « Tu es satisfaite de tout ce bordel ? Qu’est que tu fais ici ? Pour tout le monde, tu n’es que ‘Médée la sorcière’, ‘Médée l’Arabe’, ‘Médée la meurtrière’, ‘la cocue’, ‘la folle’… Quitte la ville ! »
En forme de douche froide, cet transgressive mise en opposition de la réécriture des textes du récitatif et de ceux inchangés des airs chantés est au cœur de la réussite du spectacle, qui alterne le réalisme et le mélodique.
Lors de la transition entre l’acte 1 et l’acte 2 , la diffusion d’un twist, Oh! Carol de Neil Sedaka (1958) fait fonction de goutte qui fait déborder le vase. C’en est trop en ce soir de première pour les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées qui crient sur tous les tons au scandale. Une bronca qui dépasse de loin les bornes de l’habituel mépris affiché par le public d’opéra pour le travail des metteurs en scène. Certains de leur bon goût, les perturbateurs iront jusqu’à interrompre le cours du spectacle en obligeant Vincent Le Texier (Créon) à prendre la parole depuis le plateau pour relayer les demandes de la majeure partie du public et inviter ceux qui protestent de bien vouloir sortir.
Trouvant l’énergie de reprendre le spectacle là où il s’était arrêté, toute l’équipe artistique semble alors (au delà de son engagement déjà total pour le projet) déterminée à surmonter la triste parenthèse de ce misérable remake de la bataille d’Hernani pour faire triompher l’élégance sans concession du regard que leur metteur en scène porte sur l’œuvre. Au final et alors que toute la salle est encore sous le choc d’une dernière image où Médée, son crime accompli, plie avec une application absente les pyjamas couverts de sang de ses enfants…
C’est sous les acclamations quasi unanimes d’une salle conquise que la représentation s’achève sous des tonnerres d’applaudissements. La preuve de la justesse d’un combat pour l’art qui, pour gagner la bataille et étendre son audience, se doit toujours de porter le fer en terre ennemie contre certains bastions défendus par une poignée de réactionnaires.
Patrick Sourd
Médée opéra en trois actes de Luigi Cherubini, direction musicale Christophe Rousset, mise en scène Krzysztof Warlikowski, au Théâtre des ChampsElysées jusqu’au 16 décembre.
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