L’artiste Ernest T passe à la moulinette ironique le traitement de l’art par la presse régionale. Hilarant mais affligeant.
C’est un vernissage mais personne ne regarde les oeuvres. Ou plutôt, c’est une photo de vernissage (mal) cadrée sur une assistance en arc de cercle, sans aucune oeuvre visible. Une illustration de journal, publiée dans Le Pays Briard, accompagnée de la légende qui suit : « Affluence pour le vernissage d’une exposition riche en talents ». Une « affluence » en l’occurrence toute relative et une « richesse de talents » bien difficile à évaluer quand seuls apparaissent à l’image les visiteurs, vraisemblablement figés par l’écoute du discours du maire. Photo triste, texte inutile : un traitement dépressif de l’art, où les mots ne voulant plus rien dire ne sont plus que formules obligées et dénuées de sens. C’est par réaction, mi-ironique, mi-énervée, qu’Ernest T a reproduit en grand format une dizaine de photos légendées de ce type, parues dans le bi-hebdomadaire régional déjà cité. Agrandies avec tous leurs défauts, des images tramées et mal découpées, brouillonnes et poussiéreuses que l’artiste accroche au mur sans autre forme de commentaire. Elles ont toutes, plus ou moins directement, trait à l’art, qu’il s’agisse du portrait de deux artistes ou d’une exposition de volailles, de la réunion d’un conseil municipal ou du tableau d’un peintre parfaitement inconnu. Pêle-mêle quelconque, sans souci critique ni hiérarchie qualitative, où tout se vaut et se vautre dans la même médiocrité. Des artistes qui ont forcément « du talent », des oeuvres forcément « de qualité », des vernissages forcément « réussis » pour un résultat journalistique inévitablement nul. « J’ai choisi Le Pays Briard parce que, de tous les journaux que je collectionne depuis quelques années, c’est le plus rustique, explique Ernest T. Il est très brut, y compris techniquement. Ce journal n’a aucun souci d’esthétique. Il a une grosse trame. Et les textes n’y sont pas non plus recherchés. »
Que dire de ce traitement de l’art par un petit journal régional ? Mauvais mais pas très éloigné de celui des médias nationaux, télévision en tête, à quelques exceptions près. Les montrer dans une galerie, « c’est de l’ironie bien sûr, commente Gabrielle Maubrie, la galeriste, mais c’est la réalité ». Une ironie douce-amère. Etat des lieux d’une incompréhension solide entre grand public et arts plastiques, d’une méfiance réciproque et d’un discours médiatique paresseux et inadapté. En exposant, comme des oeuvres, les photos du Pays Briard, Ernest T interroge le discours ambiant sur son rapport avec un champ de création mal connu et trop vite mis de côté pour cause de snobisme soupçonné. Ou au contraire, envisagé sous son seul jour régional et artisanal, à la recherche d’un art du terroir. Approximation, manque de rigueur, recherche du spectaculaire bête et simplifications excessives qui dépassent de loin le simple cas de la presse régionale. Une incapacité à envisager l’art comme terrain de recherche et d’expérimentations qui rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, un ministre de la Culture vantait son action en additionnant réouvertures de salles et nouvelles ailes de musée : Paris bénéficiait désormais « de 6 kilomètres de culture ».
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