A l’aube de l’an 2000, les artistes n’y pensent pas. Trempés dans le temps présent, ils se concentrent sur le monde bousculé d’aujourd’hui. Paysages, relations, médias : inventaire du dernier trimestre d’expo de cette fin de siècle.
Mike Kelley
Sa venue en France pour une exposition de taille était attendue de longue date, plusieurs fois repoussée, mais elle arrive enfin : expo du terrible Mike Kelley au Magasin de Grenoble, et avec lui c’est toute la culture alternative de l’Ouest américain qui débarque ! De Sonic Youth, pour lequel il fit la pochette de l’album Dirty avec ses fameuses peluches victimisées, jusqu’aux happenings déchaînés réalisés avec Paul McCarthy, en passant par ses multiples sculptures et installations, Mike Kelley impose dans l’art contemporain un esprit indécent : conceptuel et violent.
Thomas Hirschhorn
Lors de la dernière Biennale de Venise, Hirschhorn avait fait une nouvelle fois sensation avec un monde tout en carton et papier alu de 500 m2, formant un aéroport où Air China fait figure de message idéologique, où le défilé des compagnies aériennes est vécu comme un point de conflits régionaux et de revendications identitaires. Autant dire que sa double apparition, en septembre où il compose une réplique explosive du « mémorial » de Lady Di, et au musée d’Art moderne de Saint-Etienne en octobre, est un des événements majeurs de la rentrée.
William Kentridge
C’est d’ores et déjà l’une des expositions phares de la rentrée. Après son éblouissante installation présentée à la Biennale de Venise (un film d’animation sur l’effondrement d’une ville et le chaos humain qui s’en suit), et ses multiples projections cet été à Marseille, l’artiste sud-africain présente à Paris dessins préparatoires, anciennes et nouvelles pièces. Egalement metteur en scène de spectacles de marionnettes, Kentridge a le sens de l’installation dramatique. L’art de la narration, sensible et agile, poussé à son plus haut niveau.
Changement d’air
Puisée dans la collection du Frac Nord-Pas-de-Calais, cette exposition propose un regard élargi sur l’art vécu comme une expérience participative : historique avec LaMonte Young ou Chris Burden, actuelle avec des pièces de Pierre Huyghe, Angela Bulloch, Rikrit Tiravanija, Uri Tzaig ou encore le jeune Anglais Mark Wallinger que l’on voit rarement en France, renforcée par des oeuvres nouvelles de Rineke Dijkstra ou Mohamed Elbaz. Une histoire de l’art mélangé à la vie.
Christian Boltanski
« Je veux quelque chose de spécialement triste et spécialement moche. » Evénement certain, mais sans effet d’annonce particulier, la nouvelle exposition de Christian Boltanski promet une déprime de grande envergure. « Je veux quelque chose de moins poétique que d’habitude, moins nostalgique, moins attendri, plus dur, où l’humain n’est là que par le biais. » L’expo s’intitule Paysages : une masse noire au centre, des bâches en plastique gris, des photos de maisons espagnoles. Trois fois rien pour nous introduire dans un monde en douleur.
Valérie Jouve
Nouvelle exposition de cette artiste française, remarquée pour ses grands portraits sur fond d’architectures de banlieue. Partie à New York l’an dernier pour photographier les businessmen
de Wall Street, elle revient avec une autre série new-yorkaise et affronte le genre du photomontage. Il y sera question de voitures, de scènes fictives et réelles. On en saura plus en octobre.
Straub/Huillet
Stratigraphique, tectonique, le cinéma de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet expose ses sources, puisées à des oeuvres en rupture esthétique ou épistémologique (Kafka, Schoenberg, Cézanne ou Hölderlin…). Organisée par Dominique Païni, directeur de la Cinémathèque française, à partir de photogrammes et d’archives personnelles, l’expo vient témoigner de la modernité de ce couple terrible et du dialogue instauré, au creux du cinéma, entre les différentes disciplines artistiques.
Festival Nouvelles scènes
Un festival prisé pour son éclectisme novateur (danse, art, musiques). Au rayon plasticien, on annonce une performance musicale de Matthieu Laurette, Serge Comte, Bosco, Lna+2XL et Tétrapak, une intervention des Britanniques Forced Entertainment ainsi que les cartes postales vidéo de Corine Miret et Stéphane Olry. Parallèlement, à partir du 23 octobre, Claude Lévêque occupera Le Consortium, centre d’Art de Dijon, avec une installation purement sonore, où il sera question de souffle mécanique et de bruit assourdissant.
James Coleman
Irlandais travaillé par le conflit des hommes, des genres et des images médiatiques, James Coleman montre à Bruxelles deux projections diapositives La Tache aveugle, pour laquelle il extrait une scène du film The Invisible man, et la toute récente Photograph, multiprojection de diapos avec voix off narrative. Des plages de couleur, des surimpressions d’émotions, des identités en pleine lévitation. Questions d’images et de réel, de théâtre, de récit et de cinéma : le multimédia à grande échelle et haute volée.
Bertrand Lavier
Figure majeure de l’art contemporain depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, l’intrépide Bertrand Lavier débarque dans la galerie Templon avec une série de blancs d’Espagne, peinture blanche appliquée sur des vitrines. Après le bleu de France, après les objets recouverts de couches de peinture, après les pots de Ripolin et autres laques automobiles, Lavier continue donc son exploration de la peinture. Avec humour, mais pas sans gravité.
Malachi Farrell
Machines pétaradantes, odes aux victimes de l’oppression politique et des violences sociales : Malachi Farrell, le mécanicien fou, est de retour avec un projet spécialement conçu pour la galerie des projets du musée bordelais. Un chaos de poissons-robots, une scène de massacre évoquée tout en cris et lamentations ainsi qu’un arbre se sciant lui-même de l’intérieur. Un aperçu de l’univers de ce créateur engagé, à quelques mois de l’ouverture de la rétrospective que s’apprête déjà à lui consacrer la Ferme du Buisson, le centre d’Art de Noisiel.
Joel Bartoloméo
Avec ses grands yeux et son visage apeuré, Joel Bartoloméo ressemble souvent à un grand enfant sorti d’un mauvais rêve. Il est pourtant, dans toutes ses vidéos, d’une acuité exemplaire, filmant de façon tendre et cruelle sa propre famille, impitoyable à son propre égard. Saisissant chez les autres les moments d’abandon, d’expression sentimentale ou déprimée. Nouvelles confidences très attendues lors de sa nouvelle expo chez Alain Gutharc en octobre.
Vik Muniz
Tromper sur l’image avec gourmandise, créer des faux comestibles, dématérialisés car sortis de leur contexte, recyclés en desserts conceptuels. A 38 ans, cet artiste d’origine brésilienne est ainsi devenu célèbre pour ses contrefaçons culottées d’images célèbres : d’un portrait du peintre Jackson Pollock à une photo d’Yves Klein, en passant par ce célèbre cliché de sport (ci-contre), il reproduit à l’identique des photos entrées dans l’histoire de l’art, qu’il redessine en chocolat et qu’il photographie à son tour. La photo du faux de la photo. Une mise en abyme conceptuelle (instrumentalisation de l’image) et sensuelle (le chocolat comme vecteur de désirs). A Paris pour sa première grande expo personnelle, en trois lieux différents, il s’attaque à tout un pan de notre mémoire visuelle, du photojournalisme aux tableaux de Courbet, retraité en coton, fil de fer et autres sucreries. La cerise sur le gâteau de la rentrée artistique.
Saverio Lucariello
Des salades italiennes, des poulets vivants conchiant de beaux habits rouges, des toiles immenses où des gens normaux se promènent avec d’étranges objets tout droit sortis de chez Pierre La Police… Saverio Lucariello saborde joyeusement tout ce qu’il touche : la figure de l’artiste, qu’il ne cesse de faire tomber de son piédestal, la pensée postmoderne et ses postures esthétiques, caricaturées à longueur de vidéos traumatiques et drôles. Piteux et impitoyable.
ZAC 99
Une exposition conçue sur un paradoxe : accueillir au musée un tissu de structures indépendantes et autres organisations autonomes, à savoir un réseau d’artistes, graphistes, architectes, musiciens, designers et diffuseurs, regroupées en entités indépendantes. Des collectifs de créateurs donc, conçus et mis sur pied pour précisément fonctionner en dehors de l’institution. La Zone d’activation collective en question s’intéressera donc moins aux oeuvres en elles-mêmes qu’à leurs structures de production, d’échange et de circulation. L’art d’aujourd’hui cartographié et mis en réseau par le musée, dans une exposition conceptuelle fabriquée en collaboration avec Stéphanie Moisdon et Nicolas Trembley du Bureau des vidéos.
Le Corps social
Comment donner corps au corps social ? Expo thématique de la rentrée, conçue par le critique d’art Eric de Chassey, Le Corps social met en relation des oeuvres et la société contemporaine qui les produit : des contemporains comme Yves Bélorgey et ses peintures d’immeubles de banlieue, Fabrice Gygi et ses installations soi-disant antiviolentes, James Rielly et ses corps monstrueux, Jenny Gage, Valérie Jouve, Ghada Amer… Des oeuvres jamais bêtement mimétiques, simplement mises en regard et en société. « Juste des images pertinentes. »
Rebecca Bournigault
Sur le carton d’invitation, Rebecca entrelace son pied à celui d’un garçon : une manière d’annoncer qu’il n’y sera plus seulement question d’elle-même. S’éloignant du journal intime dans lequel elle avait parfois tendance à s’enfermer, la jeune artiste française présente à la galerie Almine Rech un ensemble plus complexe de nouvelles pièces, pleines d’images et de relations amoureuses, de couples fictifs joués par de vrais et faux acteurs, de portraits vidéo où l’on dit « Je t’aime » à la caméra, où le personnage Rebecca se fond dans la masse des autres. « C’est quelque chose entre l’abandon et le don. »
Ghada Amer
Des peintures-broderies, des motifs érotiques mélangés à des scènes de BD : pour sa nouvelle exposition à Paris, l’artiste d’origine égyptienne présente une quinzaine de nouvelles oeuvres, moins ouvertement sexuées que ses précédents travaux. Un travail tout en finesse, dans la droite ligne des coussins présentés lors de la Biennale de Venise : sous les fils brouillons de broderie, on y devinait des femmes aux gestes délicatement masturbatoires.
Alain Declercq
Des mois qu’on suit ses interventions, distribuées en d’impertinentes petites touches au gré d’expos collectives. Cette fois-ci, Alain Declercq occupe à lui tout seul l’espace de la galerie Chez Valentin, pour un rendez-vous où il est tant question d’images que de sons : une installation d’enceintes génératrices de larsens, une tentative de lance-flammes, un autoportrait en antihéros (l’artiste y apparaît équipé de deux mains gauches), une vidéo d’espionnage de voisins, une scène d’enlèvement ainsi que sa désormais fameuse vidéo Pendaison/érection. Autant de tentatives de détournement et de prise de pouvoir de l’espace d’exposition par un manipulateur hors pair des bas instincts du public.
Pierre Chardin
On n’y résiste pas, et en même temps on vous épargnera le laïus habituel, généralement situé en fin de préface de catalogue, sur la modernité de Chardin, sur son extrême contemporanéité. Pourtant, on y croit dur comme fer : parce que, s’il y en a un qui a su briser la hiérarchie des
arts en travaillant de l’intérieur le plus petit de tous la nature morte , c’est évidemment lui.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}