En France, des jeunes fondent des petites entreprises d’électronique, créent des emplois et exportent le savoir-faire tricolore : sur le papier, le rêve d’un politicien libéral.
On n’est pas loin de l’appel à l’exportation des talents lancé par Chirac : « Aux armes, boulangers, exportez vos mirlitons ! » Sur le papier (à musique), encore plus surprenant : depuis que Daft Punk a décomplexé à la fois la musique et son petit commerce, il existe désormais un pays du nom de France sur la carte mondiale de la musique. Car jusqu’à présent, on avait été plus doués pour exporter le roquefort que le rock tout court, plus portés sur le commerce de la bouffe que du groove, des AOC que des bpm. La preuve : Laurent Garnier n’avait pas été, dans un premier temps, reçu en Angleterre pour ses qualités de DJ mais pour ses compétences de cuisinier. Bref, en France, on n’avait pas de pétrole, mais on n’avait pas non plus de DJ. Ce n’est pas qu’on ait désespérément recherché jusqu’à présent la reconnaissance de l’étranger. Pas besoin de l’autorisation des instances internationales du goût pour se douter, qu’ici aussi, le talent et la singularité poussaient à l’ombre. Mais désormais une brèche est ouverte, un verrou d’inhibitions a sauté : la France ne suffit plus, la France ne subit plus. Electronique et muette, parlant donc une langue internationale, la nouvelle scène française s’est définitivement débarrassée des assujettissements qui, souvent, faisaient du rock d’ici un genre engoncé, référencé, transparent et volontiers bêtassou. Du coup, fière d’exhiber un bagage culturel qui englobe aussi bien les arrangements de Gainsbourg que le crétinisme paillard du disco, les recherches soniques des laborantins de l’Ircam que les mélodies suaves de la meilleure variété, cette scène a démontré qu’il existait ici une exception culturelle : un refus des purismes et sectarismes qui séparent souvent l’Angleterre ou l’Amérique en petits comtés inhospitaliers et étroits. Ce n’est peut-être qu’un détail pour vous mais pour nous, ça veut dire beaucoup : le dialogue avec les musiciens d’outre-Atlantique ou Manche n’est plus à sens unique, on nous interroge autant qu’on questionne. Ça change des vannes sur Plastic Bertrand ou Téléphone. Bien entendu, il serait absurde et dangereux de niveler par le haut, de repeindre en rose une scène française hier encore si grise : elle draine fatalement son lot de puritains, de sinistres suiveurs, de fâcheux dont la seule et unique idée fut, un jour, d’acheter une boîte à rythmes TR 909. Les Jean-Michel Jarre ou Bijou d’hier ont trouvé là leurs traductions électroniques, de la plus pénible virtuosité à la plus navrante contrefaçon. Mais vu le rythme auquel se remplacent les générations et l’incroyable vitalité et débrouillardise des microstructures qui se mettent en place dans la France entière, on peut être certain que la mécanique est enfin lancée, qu’il y a suffisamment de précédents pour ne plus enrayer l’euphorie et la dissémination. Il suffit de voir à quel point des Dimitri, des Bangalter ou des labels pourtant aussi jouvenceaux que Solid ou F Communications font aujourd’hui figures de vétérans, voire de statues du commandeur, pour se convaincre que l’on est ici très loin des conservatismes et immobilismes de la France à Pompidou. L’exemple a été donné, mais surtout pas les règles du jeu : c’est ainsi dans tous les sens, en ordre parfaitement dispersé, loin des tuteurs rigides et en friche joyeuse, que s’épanouit cette scène, ces enfants bâtards de la house et de la pop, de la variété et du disco, de la new-wave et de la techno. D’Alex Gopher à Jackson, des Micronauts à I:Cube, on est stupéfait par la culture panoramique des auteurs, par leur pointillisme, tout comme étonnent l’humilité, la sensualité et l’amnésie de leurs disques. « Les Français sont des veaux », disait-on sous la 5ème République. Pour certains, la 6ème a déjà commencé.
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