Le retour de Cartman et ses petits copains, mais au cinéma. Cornaquée par Matt Stone et Trey Parker, cette version grand écran de South Park, plus long, plus grand et pas coupé, est aussi plus corsée, verbalement et visuellement. On y vomit des insanités comme jamais, on y déclare la guerre au Canada et on y retrouve Saddam Hussein pédé avec Satan. C’est l’apothéose de la voyoucratie anti-droitière, qui corrode lentement mais sûrement l’hypocrite façade hollywoodienne.
A l’occasion de la sortie du long métrage, remettons-en une couche. On ne va pas se gêner. Avec ce prolongement dévastateur de leur série (troue le) culte, South Park, les nouveaux jeunes voyous du dessin animé américain, Matt Stone et Trey Parker, relèguent définitivement aux oubliettes l’illustre ancêtre, Matt « Simpsons » Groening. Ne parlons pas des tentatives de Mike Judge (Beavis & Butthead) au cinéma. Elles sont profondément enterrées au cimetière des avortons et prématurés faiblards.
South Park, le film, plus long, plus grand et pas coupé, déborde largement du cadre coutumier de la série, la petite ville de South Park, son école et ses héros (Stan, Kyle, Cartman et Kenny), pour accéder à une dimension métaphysique inédite avec l’Enfer comme lieu névralgique puis déboucher sur un monstrueux conflit armé. Mais la cerise sur le gâteau, c’est la très ingénieuse mise à distance et en abyme de la provocation langagière propre à la série par le biais d’un film dans le film, The Terrance & Phillip movie, où deux comiques troupiers canadiens avec des têtes de Pacman déversent des tombereaux de vulgarités et prônent la sodomisation des tontons. C’est la vision clandestine de cet impertinent pamphlet musical par le pernicieux Cartman qui va entraîner le scandale, puis l’apocalypse à South Park.
Matt Stone : « Tu pourrais dire que ça parle de l’éternel combat pour la liberté d’expression, mais t’aurais l’air d’un abruti. »
Manque de pot, c’est exactement de ça que parle le film. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’Amérique ne nous surprendra jamais tout à fait. Cet arrière-plan libéral est très noble et a très belle allure quand il s’agit de déclarations d’intentions et de nébuleux idéaux politiques, mais il se métamorphose vite en impérialisme quand il est appliqué à la diffusion incontrôlée des produits industriels américains. Un pays commercialement protectionniste et expansionniste peut-il sérieusement invoquer la liberté d’expression pour inonder le monde de McDonald’s et de camelote Disney, pour le tapisser de logos Nike et Coca-Cola ?
Certes, avec South Park, si l’on fait abstraction des produits dérivés, l’enjeu semble différent. En principe. Stone et Parker revendiquent essentiellement la liberté d’employer un langage ordurier et de pratiquer l’humour de bidet (« foul language and toilet humour »), de rire de la sodomie incestueuse (fuck oncle) et de péter en paix. Autre ambiguïté de South Park : le fait que son personnage le plus grotesque soit l’épouvantail officiel de l’Amérique, Saddam Hussein, Iznogood de l’Enfer qui vit en couple avec le Diable, lopette bodybuildée, et le terrorise. C’est indéniablement très drôle, mais l’ennui c’est que ça doit faire aussi rigoler (l’hilarant) Bill Clinton, assez gentiment écorné dans le film. Heureusement, il y a le volet anti-américain primaire, ou du moins anti-réactionnaire, donc politiquement correct, lorsqu’une croisade civile pour la pureté du langage et pour la censure entraîne un conflit militaire de grande magnitude dont la cible est le Canada, patrie des trublions Terrance et Phillip, qui ont perverti la belle jeunesse wasp. L’occasion de belles saillies sur cette contrée, qui fait ainsi figure de Belgique nord-américaine.
Trey Parker : « Si tu veux savoir de quoi traite le film, lis Moby Dick, et chaque fois que tu tombes sur le mot « baleine », remplace-le par « Canadien ».
Prenons donc Parker au mot. En fait, l’essai n’est pas réellement concluant. Exemple : « Sombrez tous cercueils, tous corbillards dans la mare commune puisque nuls ne peuvent être miens, que je sois déchiqueté et lié à toi en te chassant, Canadien maudit ! » A priori, le lyrisme melvillien ne peut guère s’appliquer ni être comparé à South Park, mais à y bien réfléchir, ce n’est pas si idiot et gratuit que ça en a l’air. Comme dans Moby Dick, la vraie puissance, la vraie audace de South Park est son côté imprécatoire et profératoire, sa capacité unique, en se cachant derrière des dessins lisses et géométriques, à prendre le contrepied de toutes les hypocrisies avec des truismes sarcastiques du genre : « Saddam Hussein est le diable et un pédé ! », « Les Canadiens sont des gros cons ! », « Nique ton tonton ! », « Le poirier japonais c’est quand on met ses jambes derrière la tête pour se faire lécher le cul » (sic). Cela donne l’impression que la société, le monde occidental s’infantilise et n’a d’autres ressources pour affirmer son libre arbitre que de vomir des chapelets d’injures scato-sexuelles. Ça défoule autant et c’est moins dangereux que les armes à feu ou les « dommages colatéraux » de toutes sortes qui pourrissent les guerres dites de pacification. Mais la violence verbale appelle aussi la violence physique. Mais passons.
Matt Stone : « C’est comme Spartacus, mais avec plus de pets.«
Certes, il faudra un jour analyser la recrudescence de la pétomanie dans la comédie américaine contemporaine. Mais pour l’heure, laissons ce sujet aux sorbonnards les plus pointus et aux sémiologues en (pot de) chambre. Quant à la référence à Spartacus, outre l’hommage implicite (et sans doute involontaire) à Kubrick qu’elle contient, elle reste pertinente à propos de l’épique et dantesque mise en scène de la guerre USA/Canada. Lequel conflit est bien sûr une caricature de certaines récentes campagnes menées unilatéralement par les Etats-Unis dans un but de « maintien de l’ordre mondial ».
D’ailleurs, on pourrait même faire un parallèle entre le fameux esclave Spartacus, symbole anti-impérialiste s’il en fut, et les méchants non-alignés Milosevic et Hussein. En plus, Spartacus, qui fut laminé après sa rébellion victorieuse par les Américains de l’Antiquité, alias les Romains, était né en Thrace, à deux pas de la future ex-Yougoslavie, quelque part en Macédoine actuelle ou au nord de la Grèce. Pour revenir à South Park, ajoutons que, bien que baptisé La Résistance (en français dans le texte), l’organisme de soutien aux comiques canadiens Terrance et Phillip a une dimension proprement spartakiste.
Matt Stone : « C’est inspiré d’une histoire vraie. »
Tout ce qui précède le prouve. Plus précisément, South Park est inspiré de plusieurs histoires vraies : celle, autobiographique, de deux enfants de la classe moyenne américaine (Stone et Parker) qui transposent et questionnent leur éducation et les valeurs inculquées par une société démocratique et répressive ; celle de deux canailles vulgaires (Stone et Parker) qui renvoient à Hollywood une image déformée de son cinéma ; celle de toutes les petites villes américaines avec leurs sales petits secrets (cf. Twin Peaks) ; celle des Etats-Unis en général ; celle du monde.
Matt Stone : « C’est entièrement parlé en allemand. »
Assertion qui n’est pas aussi absurde qu’elle en a l’air puisque l’anglais, et donc l’américain, est un idiome anglo-saxon, donc truffé de mots et de racines germaniques, dans lequel on trouve de très nombreuses similitudes avec la langue de Goethe. Pour être exact, donc, South Park est partiellement parlé en allemand, mais avec une forte prononciation américaine. Cela n’empêchant pas les éructations thatchériennes de Mrs Cartman d’avoir parfois des intonations hitlériennes.
Trey Parker : « Nous voulions que le film soit une comédie musicale. »
Comme le reste de ces citations, ça peut ressembler à une boutade, et comme le reste, ça n’en est pas une. D’abord parce que la construction globale du long métrage, avec ses diverses scansions chantées, parodie les traditionnels dessins animés hollywoodiens pour enfants (Disney), toujours ponctués de rengaines à la manière des comédies musicales de Broadway. Ici on mélange les genres (symphonique sirupeux, rhythm’n’blues, voire metal), sous la houlette de Parker dont la première réalisation, en images réelles, s’intitulait Cannibal the musical (1994).
Parker a composé et interprété lui-même l’essentiel de la BO de South Park, accompagné par son groupe DVDA, avec Matt Stone comme bassiste. Mais ce n’est pas tout. En dehors de la musique, Stone, et surtout Parker trustent les casquettes artistiques. Parker : réalisateur, scénariste, producteur, interprète des voix (et chansons) de Cartman, Stan, Mr Garrison et Mr Hat. Stone : coscénariste, coproducteur et interprète des voix de Kyle et Kenny. Qui dit mieux ?
Christophe Conte, Les Inrocks n° 186 : « Ce dessin animé est l’un des plus corrosifs, vachards et grossiers de l’histoire du genre. L’un des plus drôles aussi. »
Nous persistons et signons.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}