Bâtisseur de sons pour Beck, Carl Stephenson invente la world-music d’un monde tombé sur la tête. La sienne. Le disque le plus déroutant de l’année et assurément l’un des plus novateurs fut enregistré il y a quatre ans. A cette époque, Carl Stephenson venait de boucler une collaboration remarquée avec un dénommé Beck, […]
Bâtisseur de sons pour Beck, Carl Stephenson invente la world-music d’un monde tombé sur la tête. La sienne.
Le disque le plus déroutant de l’année et assurément l’un des plus novateurs fut enregistré il y a quatre ans. A cette époque, Carl Stephenson venait de boucler une collaboration remarquée avec un dénommé Beck, qui n’allait pas tarder avec Loser titre écrit et produit collégialement par les deux hommes, comme une bonne partie de Mellow gold à bouleverser le cours tranquille du rock américain. Fraîchement initié à l’art exigeant de l’écriture folk flegmatique par Beck, à qui il refilait en échange de précieux tuyaux de production, Stephenson se lançait à son tour et à vive allure dans un projet à dimension élastique sous le nom Forest For The Trees. L’album aurait dû paraître en 94, date à laquelle Stephenson, lessivé par les heures passées en studio à inventer une musique sans attache, entra dans une dépression carabinée, ponctuée de plusieurs séjours à l’hôpital et dont il n’est à ce jour pas revenu. Avec l’accord de sa famille qui y voit une possible et peut-être ultime thérapie , Forest For The Trees sort aujourd’hui des tiroirs après trois années de sommeil et d’hésitation, ce qui, pour un disque qui en compte au moins dix d’avance, n’est toutefois pas grand-chose.
A rebours, on devine sans mal pourquoi Stephenson s’est retrouvé après une telle épreuve hors des limites avouables de sa raison. On passera sur l’aspect décoratif de l’album les cornemuses, tablas, sitars et autres guitares flamenco, chorales, clavecins ou bruits de batraciens , voire sur ses déblatérations cosmico-écolo-humanitaires, pour s’attacher avant tout aux causes susceptibles d’engendrer d’aussi prodigieux effets. Là, on tombera forcément nez à nez avec quelques fantômes intimes, d’autres timbrés notoires dont Syd Barrett est l’indétrônable parangon et Robert Wyatt le moins anormal des ambassadeurs ici-bas. Sous des apparences plutôt accortes et festives, voici une musique dont chaque palpitation soulève le coeur bien avant les fesses, une world-music issue d’un monde tournant à l’évidence pas très rond, une gargantuesque partouze sonore d’avant-cataclysme. Elle est à coup sûr le fruit d’un imaginaire en proie à de sévères secousses, en permanence tiraillé entre contemplation et automutilation, ivresse et détresse, domination des éléments et noyade à pic. Elle évoque surtout l’ultime bravade désespérée pour se tirer d’une noire et féroce solitude. Une chose est certaine : le gourou polymorphe de Tranquility Bass, Michael Kandel, va désormais se sentir moins seul.
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