Munis de casques et de lunettes de spéléologues, Les Inrockuptibles sont descendus dans leur discothèque tricolore et en ont remonté soixante albums pour résumer trente ans d’histoire de la musique en France.
Dominique A La Fossette (Lithium/Labels, 1992)
Le b.a.-ba d’A (ancien chanteur à succès). A une époque où la France se mettait à la fusion, on préférait l’infusion douce-amère de La Fossette, ce radical sérum de vérité. Une pierre d’angle de la musique de chambre, finement ciselée, souvent imitée, jamais égalée. Sauf par Dominique A.
L’Affaire Louis Trio Mobilis in mobile (Barclay, 1993)
Vingt-cinq ans après l’Angleterre, la France osait enfin un orteil décomplexé dans le grand bain pop en embarquant à bord d’un rutilant Nautilus son Yellow submarine à elle avec cet album-concept ambitieux aux arrangements gonflés par une tempête d’idées, aux mélodies écumantes sous un soleil d’été rond comme un hublot.
Air Moon safari (Source/Virgin, 1998)
En reprenant les leçons d’architecture et de design osées dès les sixties par Le Corbusier ou Colombier, Air inventait là une pop aussi gazeuse que charnelle, où poésie et mathématiques chantaient à l’unisson.
Johan Asherton God’s clown (Accord/Musidisc, 1988)
Fou amoureux de Leonard Cohen et Nick Drake, l’ancien leader des Froggies saute le pas en 88 et déclare sa flamme en dix chansons inoubliables. En anglais dans le texte, le plus beau disque de songwriter jamais enregistré par ici.
Assassin Le Futur, que nous réserve-t-il ? (vol. 1 & 2) (Assassin Productions, 1992)
Alors que les compères de la première heure du Suprême NTM optent pour une major, Assassin choisit la voie de l’autoproduction pour signer son premier album et dénoncer les méfaits d’un système autorisant une poignée de privilégiés à exercer sa pression sur le plus grand nombre.
Autour De Lucie Immobile (Le Village Vert/Sony, 1997)
Immobile est bien le contraire de ce que son nom indique. En ayant su remettre en question la pop sereine de son premier album pour aller se plonger dans la complexité des mots et des guitares, Autour De Lucie entraîne ici l’auditeur dans l’univers sombre ou doux-amer de ses paroles, inquiète sournoisement, tend des pièges. Intranquille aurait été un meilleur titre.
Alain Bashung Play blessures (Barclay, 1982)
Ragaillardi par Gaby et Vertige de l’amour, Bashung prend le large avec Play blessures. Lassé de ses instrumentations basiques et des jeux de mots que lui distillait un Boris Bergman déjà en roue libre, le cowboy pactise avec Gainsbourg et se paie un voyage de détraqué dans son album le plus minimaliste écrit à l’encre noire. Un mal de crâne plus loin, il venait de poser les jalons de son oeuvre future.
Bérurier Noir Concerto pour détraqués (New Rose, 1983)
Une bombe ! En un album, la France du rock s’était réveillée avec des Rangers aux pieds, un masque en forme de groin sur le nez et voulait voter pour Alain Krivine. La France du rock avait 16 ans, pogotait comme une tribu de sagouins sur une boîte à rythmes RMiste et des guitares à deux notes en chantant Petit agité torse-poil, et reniflait sur Porcherie. L’alternatif était né, porteur d’une révolte rock militante, engagée jusqu’aux yeux dans un punk à la française enfin en VO.
Rodolphe Burger Meteor show (Chrysalis/EMI, 1998)
Poussant quelques crans plus loin les spéculations sonores et poétiques de Kat Onoma, Burger, fort bien épaulé par Doctor .L et ses machines à découdre, inflige à la chanson et à la langue françaises de très amoureuses maltraitances. De la défiguration libre, et un album solo qui rompt avec les habituels jeux de l’ego pour s’adonner à d’inédits jeux de Lego.
Manu Chao Clandestino (Virgin, 1998)
Il a beau chanter la mélancolie sur des mélodies radieuses, puis offrir à ses mots euphoriques des rengaines ténébreuses, ce Clandestino est, depuis deux ans, la plus efficace digue au vague à l’âme. L’exotisme sans touristes et sans guides : précieux.
Christophe Le Beau bizarre (Motors/Sony, 1978)
A l’heure de la new-wave, l’éternel décalé de la chanson française se croit encore dans les fifties et commence sérieusement à singulariser son parcours déjà pas mal accidenté. Cet album indescriptible, totalement hors piste, auquel certains vouent un culte absolu et d’autres une haine hérissée, est un cas d’ovni assez rare pour figurer à vie dans les sélections de disques français.
Michel Colombier Capot pointu (Magic Records, 1969)
Un incroyable assemblage de pop avant-gardiste datant de 69 par le plus inventif des compositeurs français, avec deux inédits de Gainsbourg, des génériques cultes à la pelle et la participation vocale d’un certain F. R. David ! Un modèle inépuisable pour des générations entières de décorateurs sonores.
Pascal Comelade L’Argot du bruit (DSA/Delabel, 1998)
Détournement d’airs mineurs, valses de contrebande, piratages de rock’n’roll, chansons dépouillées (ici avec PJ Harvey) : au sommet de leur art de monte-en-l’air, Comelade, son piano et son Bel Canto Orquestra aggravent leur cas en beauté. Rien de « minimaliste » par ici : depuis vingt ans, Comelade est en France l’un de ceux qui couvrent le plus large spectre musical.
Daft Punk Homework (Labels/Virgin, 1996)
Des complexes volent ici en éclats : face au business, face à l’étranger, face à la musique même, qu’on invente soudain au lieu de subir. Monument historique, Homework servira autant de salon de débat que de salon de débauche. Da funk ou Around the world, eux, restent les bandes-son de la joie.
Etienne Daho Paris ailleurs (Virgin, 1991)
La cigale Etienne ayant chanté toutes les années 80 ne se trouva pas fort dépourvue quand les nineties furent venues. Plus fourmi qu’auparavant, Daho apporta un soin particulièrement bienvenu à cet album pop-rock mûr et réfléchi, se dévoilant comme jamais dans les textes et composant (seul ou avec Edith Fambuena des Valentins) ses chansons les mieux ouvragées.
Diabologum #3 (Lithium/Labels, 1996)
Poussées à l’extrême et lorgnées à travers un kaléidoscope où l’Amérique a fourni les grains de folie (de Tortoise à Sonic Youth en passant par Charles Ives), les idées noires et crochues de Daniel Darc prennent ici une ampleur stupéfiante : grand disque chamboulé et chamboule-tout, #3 redonnait espoir en un rock français. On attend toujours, dans nos rêves, une suite à cet infatigable brûlot.
DJ Cam Substances (Inflammable/Columbia, 1996)
En digne héritier de ses DJ favoris (Premier et Shadow), Laurent Daumail alias DJ Cam ne jure que par le hip-hop. Ce grand maître de l’abstract hip-hop français, qui imposait là avec son deuxième album sa mélancolie et son esthétisme, n’hésite pas cependant à faire quelques incursions réussies dans la house ou l’ambient. Spleen et scratches, samples et instruments live font bon ménage sur ces morceaux instrumentaux pour la plupart lumineux et poétiques.
Jacques Dutronc Les Années Vogue 1966-76 (Vogue, 1992)
Dutronc dans la France des yé-yés, c’est un peu une poivrière renversée dans un grand plat de nouilles. Prenant de biais l’influence anglo-saxonne rock teigneux, crooneries déconnantes , un dandy potache se poile sur le dos des Trente Glorieuses. Ses armes : des textes ciselés (Lanzmann, au sommet), chantés d’une voix qui pince sans rire, des mélodies qui mordent l’oreille, une distance ad hoc. Trente ans après, l’évidence : ce modèle-là était vraiment unique.
Fabulous Trobadors On the linha imaginòt (Mercury, 1998)
C’est une ligne imaginaire qui relie la Haute- Garonne, le delta du Mississippi et la Jamaïque. Enrichi en instruments et en collaborations diverses, le troisième album des Fabulous vaut notamment pour les belles histoires de l’oncle Sicre, qu’on s’est souvent retrouvé à écouter comme un minot émerveillé.
Nino Ferrer Sacré Nino… (Barclay, 1998)
Un drame. Toute sa vie, Nino Ferrer tentera d’échapper à Mirza, à Gaston, à Madame Robert, à Alexandre, poilants tubes de jeunesse où ce dandy flambeur importa avec génie le rhythm’n’blues. Mais hormis les géniaux La Maison près de la fontaine et Le Sud, le grand public ignorera royalement le passage à l’âge adulte de Nino Ferrer, condamné à vie au comique troupier. Heureusement, de Bashung ou Jacno au trop méconnu Fred Poulet, l’héritage est entre de bonnes mains.
Brigitte Fontaine Brigitte Fontaine est… (Saravah/Night & Day, 1970)
Un monument. Les arrangements de Jean-Claude Vannier, la voix de Brigitte Fontaine sous son jour le plus clément, quasi Gréco, des mélodies et des compositions à fendre les pierres signées Olivier Bloch-Lainé et Higelin, et surtout des textes qui picorent dans la condition humaine avec un délice qu’on aimera partager à vie. S’il n’en reste qu’un…
Serge Gainsbourg Histoire de Melody Nelson (Philips/Universal, 1971)
Choix facile, incontournable et incontourné : LE disque fondateur de la modernité pop, celui dont le monde entier s’inspire encore chaque fois qu’une révolution musicale décide de remettre batterie et basse pulmonaires, violons capiteux et spleen carbonique sur le devant de la scène. Et un texte qui finira un jour en Pléiade.
Gamine Voilà les anges (Barclay, 1988)
Arrivés de Bordeaux et repartis on n’a jamais vraiment su où, les quatre garçons de Gamine ont, l’instant de leur premier album, laissé croire que la pop française à guitares connaîtrait une explosion bienvenue à l’aube des années 90. Sorti en 88, Voilà les anges glorifiait la mélodie, rafraîchissait par ses compositions enlevées, rendait populaire la légèreté. Un deuxième album en 90 ne sublima pas ce bon départ, Gamine fut porté disparu et les traces des rescapés du groupe devinrent obscures.
Françoise Hardy La Question (Virgin, 1971)
L’égérie française du bon goût, à peine sortie (indemne) de la camisole yé-yé, s’offre cet album de pure poésie dont elle a eu la bonne idée de confier les arrangements à une amie brésilienne, la guitariste Tuca. Bordé de cordes et pigmenté de ce swing unique tout droit hérité de la bossa-nova, La Question n’appelle d’un bout à l’autre qu’une réponse : chef-d’oeuvre.
IAM De la planète Mars (Labelle Noir, 1991)
Au point depuis déjà un moment, les Marseillais placent la barre haut avec un album qui séduit les auditeurs bien au-delà du cercle des « puristes ». L’accent du Sud, une bonne dose d’humour (Attentat, Do the raï thing) et des textes travaillés contribueront au succès d’IAM qui s’impose d’entrée de jeu comme l’une des valeurs sûres du rap hexagonal.
Les Innocents Post-partum (Virgin, 1995)
Après avoir mis bas un monstre (Fou à lier, disque multiplatiné et usé jusqu’au sang par les radios), Les Innocents faisaient enfin coïncider leurs goûts raffinés pour la pop gourmande (des Beatles à Crowded House) avec leurs actes de songwriters. Tout au long d’un album aux charmes délicats (inoubliables et tellement bien nommés Lune de lait, Dentelle ou Un Monde parfait), Les Inno cessaient d’être d’éternels Poulidor pour prétendre à la plus haute marche.
Kas Product Try out (RCA/BMG, 1982)
Noirs étaient le cuir, les longues mèches de tignasse, la pochette, les claviers préhistoriques, les chansons psychiatriques. Sur cet album d’électronique primitive et brutale, le duo nancéien agitait Suicide de convulsions, trouvait la bête dans les synthés quand Taxi Girl cherchait le garçon. Pour beaucoup, un premier pas décisif vers l’électronique : pas étonnant que des siècles plus tard le manipulateur d’ambiances Zend Avesta fasse équipe avec leur chanteuse Mona Soyoc.
Katerine Mes mauvaises fréquentations (Rosebud/Barclay, 1996)
Un cas rare, pour ne pas dire unique : avec son irrésistible swing piqué de bossa-nova et son verbe assassin, le Vendéen offrait enfin aux orphelins du tandem Michel Legrand/Jacques Demy une filiation discographique en Super Technicolor et s’imposait comme le seul garçon formidable digne d’être assidûment fréquenté.
Kid Loco A Grand love story (Yellow/East West, 1998)
Déjà repéré chez Bondage ou dans le sous- estimé Honky tonk soul de Mega Reefer Scratch, le vétéran Kid Loco abandonne ici le jeu collectif pour une sensualité solitaire et luxueuse, sur fond de BO de pornos soft. Pourtant, pas de stuc ni de trucs dans ce palais accueillant et solide, temple élevé aux langueurs polissonnes.
Kid Pharaon & The Lonely Ones Love bikes (Closer, 1987)
Avant d’abandonner son rock festif et tendre sur le paillasson d’une gloire promise, le Landais Kid Pharaon aura eu le temps de visiter avec classe l’aisance mélodique, la fougue enfantine et la sincérité palpable de son héros : Jonathan Richman. Sa sortie, discrète et digne, fut aussi triste qu’exemplaire.
The Little Rabbits Yeah! (Rosebud/Barclay, 1998)
Après l’électronique, c’est la pop française qui se décomplexe, joue à saute-barrières en narguant les douaniers. Enregistré à Tucson, Yeah! parle couramment une langue autrefois étrangère : une lo-fi savamment nonchalante, aussi déconstruite qu’instruite.
La Mano Negra Patchanka (Virgin, 1988)
Bien avant que l’Amérique latine ne soit la destination favorite des musiques françaises en panne sexuelle, La Mano Negra y organisait déjà une party torride et euphorique, ouverte à toutes les influences pourvu qu’elles oublient au vestiaire inhibitions, rhumatismes et quant-à-soi. « La patchanka is the wild sound », hurlait la chanson : on en sue encore.
Gérard Manset La Mort d’Orion (EMI, 1970)
Longtemps renié par son auteur, qui ne le réédite qu’en 96, un disque où la chanson française chope le tournis dans le grand siphon de la démesure. Oratorio tombé sur la tête, orchestrations zinzins, déclamations cosmico-ésotériques, bricolages mutants : « martien, bubble-gum, vaselineux, dégoulinant », résumait Manset vingt-cinq ans après, toujours perplexe devant cet objet non identifiable.
Marquis De Sade Rue de Siam (EMI, 1981)
Sur ce deuxième album produit à Londres, le divin Marquis offrait là au rock français un ton, un son, un souffle et un espace inenvisageables à l’époque des bonsaïs. Caricaturés en « jeunes gens modernes », les Rennais furent le premier groupe de rock français moderne : de Daho à Sloy, la postérité se chargera d’arroser la légende.
MC Solaar Qui sème le vent récolte le tempo (Polydor, 1991)
Débarqué de nulle part, Solaar. Enfant prodige du rap, jonglant avec les mots comme Gainsbourg avec ses volutes de Gitane, le petit prince du rap dessinait l’art du verbe avec la rudesse de la culture orale et l’Afrique reprenait un souffle métissé dans le rap hexagonal. Solaar réinventa en un album un futur à la musique française. Astre de passage, nova du rap vite grillée par ses petites recettes linguistiques, Solaar ne reverra jamais pareille lumière.
Mellow Another mellow winter (Atmosphériques, 1999)
Exercice Chimie 2000 : comment dissoudre une impressionnante culture musicale (de la pop au rock progressif, de Eno à ELO) dans l’électronique ? Etudiée depuis des années dans des caves de la région parisienne par les trois gandins de Mellow, l’expérience fait de belles bulles multicolores et de jolies étincelles sur Another mellow winter, album aussi charnel que la rumeur le voudrait clinique.
Lizzy Mercier Descloux One for the soul (Polydor, 1986)
D’abord un personnage fascinant, qui arpentait le New York punk quand nous étions encore dans nos couches, seulement connu par ici pour son tube Où sont passées les gazelles ? En 86, Miss Lizzy s’offrait une escapade à Rio pour y graver cet album (en anglais) de soul jazzy et feutrée, convoquant les fantômes de Al Green et Cassavetes (Love streams) ainsi que les derniers souffles de Chet Baker, archange déchu à la trompette sur cinq titres, dont une reprise de My funny Valentine.
Métal Urbain Les Hommes morts sont dangereux (Celluloid, 1981)
Ultra violence, Crève salope, Paris maquis. Vivants aussi, ces hommes étaient dangereux. Légendaire pour avoir été la première signature du label londonien Rough Trade, Métal Urbain méritait pourtant largement plus que ce titre de gloriole : secs, rêches et brusques, leurs hymnes punks demeurent étonnamment droits là où tant d’autres chansons de l’époque n’amusent plus que les antiquaires.
Mikado Mikado forever (Le Village Vert/Arcade, 1998)
A côté des peigne-culs de la niouwaive en chaussettes Kindy qui sévirent pendant la seconde moitié des eighties, Mikado alias Gregori Czerkinsky et Pascale Borel n’avait peut-être rien à dire, mais au moins le fit avec des fleurs. Synthés cheap, boîtes à rythmes riquiqui, limpidité mélodique et sourde mélancolie, les singulières mignonnettes minimalistes de Mikado n’ont depuis jamais quitté l’horizon de notre jardin secret.
Ministère A.M.E.R. Pourquoi tant de haine ? (Musidisc, 1992)
Traîtres, le premier maxi du Ministère A.M.E.R., alors composé de Moda, Stomy et Passi, est une profession de foi qui allait faire date. Personne n’avait encore osé des textes aussi explicites. La fierté noire constitue la trame de fond d’un album d’où il faut également retenir Les Damnés, une longue diatribe anticolonialiste se référant à l’ouvrage de Frantz Fanon, Les Damnés de la terre.
Miossec Boire (Pias, 1995)
A une époque où la pop d’ici avait aseptisé les guitares, désinfecté le verbe et servi light les chansons, Miossec débarquait de nulle part avec son verbe tartare, ses guitares malotrues et ses obsessions nulles, sales, frustes. Un album de sauvage lâché dans un magasin de littérature ombrageuse : de cette casse, on ne se remet pas.
Motorbass Pansoul (Pias, 1996)
Un des actes fondateurs de la house à la française. Nourris au hip-hop, Zdar (La Funk Mob, Cassius) et Etienne de Crécy (Superdiscount) s’attaquent à cet autre genre, sans idées préconçues ni manque de fraîcheur, pour un résultat toujours affolant de sensualité.
Jean-Louis Murat Dolorès (Virgin, 1996)
Le grand blessé auvergnat aura donc attendu son quatrième album après sa renaissance pour atteindre les cimes. Bourreau des coeurs aux cicatrices adolescentes, éternel romantique et meilleur client du désespoir, Murat devient enfin le bluesman qui sommeillait dans ses douleurs intimes avec Dolorès. Un terrible tourbillon de tourments chanté le poison sur la langue, flambé au désespoir, égrenant les mots avec la rudesse du solitaire rivé à son réel, les alignant avec l’énergie d’un survivant.
Les Négresses Vertes Mlah (Delabel, 1988)
Une joyeuse bande de canailles parigotes qui fut la première à ouvrir un front du côté de l’Angleterre, laquelle en pinçait alors pour leur look Belleville et leur musique ouverte aux quatre vents d’Orient et d’ailleurs. En dehors de l’exotisme Pépé Le Moko, l’un des disques les plus explosifs à avoir surgi de l’alternatif, avec un hymne universel : Zobi la mouche.
Noir Désir Tostaky (Barclay, 1993)
Question de l’année en 1993 : comment traduire « grounge » dans la langue de Moustaki ? Réponse : Tostaky (la chanson), dont le riff de guitare rouge de colère a propulsé Noir Désir dans la modernité. Avec cet album roboratif et radical, le quatuor accort a montré qu’il n’avait pas l’intention de vieillir comme la moyenne des groupes français : mal. A l’institutionnalisation et à la facilité, Noir Désir a tourné le dos (voir pochette).
NTM Paris sous les bombes (Epic, 1995)
Troisième album de la carrière de NTM, Paris sous les bombes, sorti en 1995, est une pierre angulaire dans le hip-hop de l’Hexagone. Textes incisifs, rimes pertinentes se retrouvent portés par des samples épurés et l’inimitable flow offensif de Joey Starr. Les polémiques se déclencheront autour de quelques titres et paroles que certains culs-bénits trouveront provoquants Qu’est-ce qu’on attend ?, La Fièvre. Cinq ans après leurs débuts discographiques sur la compilation Rapattitude, Paris sous les bombes consacrait NTM groupe majeur du rap français.
Les Objets La Normalité (Columbia/Sony, 1991)
Premier groupe depuis Gamine à savoir transcrire en français la pop venue d’ailleurs (The Go-Betweens, Monochrome Set), Les Objets paraissaient là ouvrir la voie pour toute une génération. On appelait ça, faute de mieux, la ligne claire, alors qu’il aurait peut-être mieux valu parler de ligne brisée tant les espoirs qu’elle fit naître furent sans lendemain. Qu’importe, La Normalité reste un disque symbole et, à ce titre, important.
Orchestre Rouge Yellow laughter (RCA/BMG, 1982)
Rouge était définitivement la couleur des guitares, des idées noires et des rires jaunes de Theo Hakola, de la pochette même. Album effronté à une époque où le rock français était la plupart du temps pop et timoré, Yellow laughter marquera ainsi son époque au fer rouge. Noir Désir, découvert et produit par Theo, en porte encore la marque. L’Américain fondera ensuite les inégaux Passion Fodder, pour finalament se rendre compte qu’il n’y avait meilleure compagnie que la sienne : ses disques solo, enregistrés au dangereux croisement de la chanson et du rock, sont aussi cabossés que souvent fascinants.
Oui Oui Chacun tout le monde (Eurobond, 1989)
Mélodies comme des siphons fous, poésie concrète et rimes inédites : en allant puiser son inspiration dans les recoins du quotidien, Oui Oui inventait cette année-là avec son premier album une nouvelle façon d’être « alternatif » en France, mélancolique, élégante et merveilleusement barrée.
Michel Polnareff Les Premières années (Universal, 1998)
Pas un disque mais trois : indispensable triptyque pour arpenter à fond les recoins de l’oeuvre sixties de Polna, à l’époque où il n’avait pas encore le citron en compote et où il importait ici les meilleurs sons d’Angleterre. Un double hommage récent prouve que son génie était bien inimitable. D’ailleurs, à partir du début des années 70, lui-même ne parvint plus à s’imiter.
Les Rita Mitsouko The No comprendo (Virgin, 1986)
¿No comprendo Ben voyons. Catherine Ringer et Fred Chichin auraient mérité une paire de claques pour délit de facilité dans l’écriture. Premier duo siamois de l’ère musicale moderne française, Les Rita ont réintégré dans le rock ce qu’Elli & Jacno avaient circonscrit à la variété pop. Hymnes pour plusieurs décennies encore, C’est comme ça et Les Histoires d’A. opéreront la jointure ultime entre l’intelligence d’un rock enfin décomplexé, une pop empoignée à pleins refrains et une chanson française débarrassée de son tablier réaliste et de ses plaisanteries grasses. Après eux, le déluge.
Roudoudou Tout l’univers listener digest (Delabel, 1998)
Roudoudou, mais pas raplapla, encore moins Rantanplan : trop d’intelligence pétillante et de reliefs cocasses dans cet étrange Tout l’univers, à la nostalgie joyeuse. Une encyclopédie où le sampler du Parisien recense les sons et les grooves comme on collectionnait les figurines Panini : avec naïveté et obsession.
Superdiscount Compilation (Solid, 1997)
Réunie autour d’un omniprésent Etienne de Crécy, toute l’équipe du label Solid (Alex Gopher, Air) donne sa version du concept-album : chic, superflue et réjouissante. Hymnes house de qualité supérieure, Le Patron est fou et Prix choc réussiront pourtant à devenir des produits de grande consommation.
Rachid Taha Diwân (Barclay, 1998)
Après ses débuts au sein des Lyonnais Carte De Séjour premier groupe français parvenant au succès en mêlant rock et raï, langues arabe et française , Rachid Taha franchit les frontières géographiques et musicales avec la complicité du producteur Steve Hillage. En 1998, Rachid Taha abandonne rock, raï et techno pour opérer un retour à la musique traditionnelle arabe. Grâce à son énergie et sa verve, Taha transcende dans Diwân le répertoire classique maghrébin, l’offre au public de façon éclatante et rythmée. A la fois fête et hommage, Diwân est une superbe révérence à une musique fondatrice et essentielle.
Taxi Girl Seppuku (Mankin/Virgin, 1981)
A force de chercher le garçon, Taxi Girl finira par trouver, en masse : en France, une génération entière, de Daho à Air, osera finalement se lancer dans la musique grâce à cette brèche inespérée dans le conservatisme, première incursion de punks dans les hit-parades. Chouette souvenir.
Les Thugs Still hungry, still angry (Bondage, 1989)
Les Thugs, ou comment faire de sa vie une oeuvre d’art sonique. Modèle de fixisme et de jeu avec la limite, Les Thugs ont déposé l’essentiel du rock français, apprenant aux mélodies à enfin flirter avec l’autocombustion électrique. Dernière incarnation des Stooges identifiée, il n’y avait à l’époque qu’une poignée de visionnaires pour comprendre que l’héritage des Stooges avait prospéré en France et que le grunge n’était pas né à Seattle. Ironie du sort, c’est sur Sub Pop que les Thugs signeront leur première production américaine.
Yann Tiersen Rue des Cascades (Ici D’Ailleurs/Labels, 1996)
Un an avant que le public ne chavire en découvrant Le Phare, Yann Tiersen, dirigeant son orchestre fantôme de pianos, violons, accordéons, clavecins et autres mélodicas, signe un album instrumental qui, sans chantage au sentiment, trouve les notes justes pour dire les souffles du quotidien, la vie modeste, les brumes du souvenir. L’air de rien, une poétique de l’indécision qui révèle un vrai tempérament musical.
Tue-Loup La Bancale (Pias, 1998)
Disque de chevet à écouter les nuits sans lune de préférence, La Bancale a révélé Tue-Loup, le premier groupe français à se montrer à la hauteur de nos états d’âmérique préférés. Normal pour un groupe élevé en plein air et nourri au grain dans la Sarthe, ce Midwest français.
Ulan Bator Végétale (DSA/Mélodie, 1997)
Avec un vieux moteur bien éprouvé l’inusable guitare-basse-batterie , Ulan Bator réussit sur son troisième album une très convaincante conquête de l’espace et du temps. Une intelligente musique de l’intranquillité, qui joue avec le feu du rock, redonne à l’électricité toute sa tension, et qui s’offre même le luxe d’une voix en désordre et de quelques textes volés en éclats.
Silvain Vanot Silvain Vanot (Virgin, 1993)
Le verbe est ras et rêche, le chant en travers de la gorge, et les guitares ont les nerfs en pelote. Seule dans le désert, la colère humble de ce disque repensait le rock d’ici en lui donnant des lettres (une poignée) et une nouvelle électricité (en service restreint). Sensible et incommode, comme du Henri Calet mis en sons par Neil Young.
Notules réalisées par JD Beauvallet, Marc Besse, Vincent Brunner, Christophe Conte, Stéphane Deschamps, Anne-Claire Norot, Richard Robert & Frédéric Valion.
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