Ou comment faire, avec de la colle et des voitures miniatures, du land-art à la maison.
Traditionnellement, la maquette est un outil qui sert à présenter des projets architecturaux en cours, à les montrer avec enthousiasme, dans une logique de séduction, et elle précède l’aménagement du site qui sert de modèle à sa construction. A l’inverse, les maquettes de l’artiste Michael Ashkin, exposées à la galerie Jousse-Seguin, évoquent plutôt des paysages post-industriels, désolés et périphériques. Aucune mention géographique ni indication topographique. Des maquettes posées sur des tréteaux et des tables, mais recouvertes de colle, de poussière, de terre, de ciment. Un mirador vide, une portion d’autoroute, un camion enlisé, un arbre au bord d’une étendue glauque, une voiture à moitié engloutie, des cailloux, une citerne hors service. Bienvenue en eaux troubles.
Les jours de grande pollution, cet artiste américain né en 1955 à Morriston, New Jersey, aime faire des « driving-trips » sur l’étendue de la Route 1, à l’affût de nouvelles configurations topographiques et plastiques dans les paysages défoncés de ce no man’s land. Armé d’un appareil photo, il s’arrête dès que bon lui semble pour faire des clichés directs qui documentent les stigmates entropiques du paysage post-industriel contemporain, dans sa version américaine, nécessairement universelle. Ces « promenades plus pittoresques les unes que les autres » le portent à ramener de la terre asphaltée jusqu’à Brooklyn et à reproduire en miniature une certaine idée de ce qu’il a vu là-bas. Toutefois, les aspects hyperréels de ces maquettes méticuleusement désertiques leur confèrent la capacité paradoxale de dépeindre un vrai lieu, en même temps qu’elles circonscrivent un site anonyme. Le paradoxe étant que Michael Ashkin parvient à transposer sur ses maquettes « l’immensité de la monotonie et de l’uniformité du paysage traversé », composant comme « des immensités en miniatures ». Ces « landscape-models » méditent sur l’épuisement des sites périphériques (dé)construits et croisent en miniature le travail accompli à la fin des années 60 par les artistes du land-art, adeptes des espaces livrés aux caprices post-industriels (pont défoncé, pipeline éventré, cratère artificiel…). Notamment l’Américain Robert Smithson, qui a investi, à partir d’une promenade champêtre à Passaic, véritable site-poubelle du New Jersey, l’idée d’un paysage entropique : un lieu qui tire son énergie, sa force, de sa disparition progressive. D’autres références apparaissent : le souvenir dégradé des paysages romantiques de Friedrich, l’entreprise mono-descriptive de Robbe-Grillet et sa Topologie d’une cité fantôme. Et surtout ce long travelling sur paysage désolé que constitue le cinéma américain, des frères Coen à David Lynch. Ainsi, les pièces d’Ashkin traitent de l’attraction ambivalente des paysages post-industriels, de la beauté particulière des forêts élaguées du New Jersey. Des paysages que plus personne ne peut ni ne veut voir…
Alexis Vaillant
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