Toujours respectueux de ses personnages, John Waters s’améliore de film en film. Cet artiste culte et trash devient avec Pecker un cinéaste classique.
Pecker est un jeune photographe amateur de la banlieue de Baltimore, pour qui les habitants pittoresques sont la principale source d’inspiration. Lors de son premier vernissage dans la salle du snack-bar où il est serveur, son talent suscite l’enthousiasme d’une galeriste qui le transforme en nouvelle coqueluche de la scène artistique new-yorkaise. Mais Pecker, grand naïf, découvre le snobisme, la moquerie, l’hypocrisie, et risque de perdre la sympathie de ses modèles improvisés, de sa famille et de ses amis qui le suspectent de gagner une fortune sur le dos de leur singularité et de perdre son authenticité.
On aura vite fait de rapprocher Pecker de son créateur, John Waters, natif de Baltimore, légende de l’underground punk et inventeur de concepts tels que le bon mauvais goût, un des premiers réalisateurs cinéphiles à convoquer des références antinomiques et paradoxales en se réclamant aussi bien de Russ Meyer et Hershell Gordon Lewis que de Sirk, Warhol ou Fassbinder. Si on a trouvé le bonhomme immédiatement sympathique, et sa démarche forcément appréciable, on a été plus long à reconnaître le cinéaste caché derrière le pasticheur et le provocateur, à cause du niveau cinématographiquement très limite de ses premiers essais (son « chef-d’oeuvre », Pink flamingos, vaut surtout pour sa scène finale, où l’on voit Divine, l’égérie trav’ de Waters, manger une crotte de chien).
Heureusement, John Waters est un artiste intelligent qui a réussi à se débarrasser des étiquettes encombrantes de réalisateur culte et trash pour se concentrer sur les histoires qui lui plaisent, et surtout pour les raconter de mieux en mieux. Tout en continuant de se moquer, malgré les apparences, de la reconnaissance critique et de la respectabilité, John Waters est parvenu à faire évoluer son cinéma vers une maturité et une pertinence absolument remarquables dans la production américaine récente. Il est vrai que Waters, malgré sa discrétion, peut passer pour le principal responsable de la nouvelle orientation de la comédie US. Les frères Farrelly, Jim Carrey et leurs médiocres suiveurs lui doivent beaucoup, notamment en ce qui concerne l’introduction systématique de la scatologie ou de l’agressivité sexuelle dans les divertissements grand public.
Mais si Hollywood a récupéré l’humour ravageur de Waters, il s’est précautionneusement dispensé d’en garder l’esprit, subversif et libertaire, mais surtout tolérant. Waters humaniste ? Difficile à admettre il y a vingt ans, cela saute aujourd’hui aux yeux, sans doute parce que sa mise en scène, enfin digne de ce nom, restitue par la même occasion leur dignité aux gens (vedettes invitées, revenants ou tronches anonymes) qu’il filme. Refusant de participer à cette escalade de la provocation et de la méchanceté, Waters préfère conforter son discours d’homme et de cinéaste. Il n’a jamais été du côté des rieurs ou des cyniques, amoureux de ses personnages, aussi laids, ridicules ou ignobles (par rapport à une conformité tout aussi bête) qu’ils soient.
Pecker n’est donc pas si autobiographique que cela puisque Waters a su mieux que son héros évaluer la façon de rester fidèle à soi-même et à son oeuvre tout en intégrant le système artistico-économique. Pecker est l’occasion pour le cinéaste de se dissocier de l’humour dominant de notre époque et de lever son verre « à la mort de l’ironie », en une touche d’espoir finale qui voit la réconciliation des freaks de classes et d’univers opposés. Cultiver sa différence, tel reste le message immuable de Waters, cinéaste qui vieillit bien. Pecker n’est pas seulement une excellente comédie avec des gags tantôt tendres, tantôt absurdes (la soeur cadette qui se shoote avec des petits pois !), c’est un film bilan qui clôt tout un pan de la filmographie de Waters et envisage avec humour l’évolution du monde dans lequel nous vivons. Incroyable mais vrai : derrière l’inventeur du premier (et unique) travesti obèse et coprophage de l’histoire du cinéma se cachait un bon cinéaste classique, qui est aujourd’hui en Amérique l’un des rares à filmer ses acteurs et ses histoires avec respect et sincérité.
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