Le cinéma d’animation n’a jamais été aussi créatif et divers. En témoignent les films montrés dans les Surprises et Suppléments détachables de Canal+ à l’occasion du Festival d’Annecy, ainsi qu’un bouleversant long métrage japonais, exemple flagrant de l’excellence nipponne.
Vu par hasard un dimanche soir sur M6 un reportage de Capital sur des jeunes spécialistes français du dessin animé qui ont eu l’honneur insigne (mais éphémère) d’être engagés à Los Angeles par DreamWorks, l’usine à images de Steven Spielberg. Un de ces heureux élus expliquait que la tâche la plus ardue pour lui avait été de traduire graphiquement une expression de souffrance de Moïse pour une scène du Prince d’Egypte. Il ajoutait, rosissant comme un premier de la classe, que cette séquence qui lui avait donné du fil à retordre était précisément celle que le Maître (Spielberg) préférait. En dehors du fait que ces Français d’Hollywood se trouvent précisément dans la même situation que les Hébreux, esclaves des Egyptiens dans la légende biblique en question, cela en dit long sur le manque d’influx créatif chez nos jeunes spécialistes, avant tout réputés pour leur talent d’exécutant.
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On constate ce type de lacunes dans le panorama 1998 du court métrage d’animation diffusé pendant une semaine sur Canal+, à l’occasion du Festival d’Annecy 99, dans les Surprises et Suppléments détachables. Les rares compatriotes dignes d’intérêt sont précisément ceux qui ne pourront jamais collaborer aux fresques pompières de Spielberg et Disney : notamment David Garcia et Stéphane Blanquet. Le premier se caractérise, dans sa série déjà remarquée, Jean-Luc et Faipassa (le 31 mai à 10 h 55), par un humour potache à tendance scato de très bon aloi. Le deuxième, dans Mon placard, cosigné par Olive (le 2 juin à 2 h 25), fait plus fort avec son graphisme naïvo-expressionniste, et surtout son scénario grinçant et 100 % dingo sur un enfant à tête greffée enfermé par ses parents dans un placard plein d’insectes. On se croirait dans Les Mutilés d’Ungar. Dans le même ordre d’idées pas forcément très ragoûtantes, mais à des trillions d’années-lumière des petits Mickey gerbants, on trouve un véritable chef-d’ uvre, The Man on the lower left hand of the photograph (le 2 juin à 2 h 15) de Robert Morgan. Une uvre d’animation avec des marionnettes semblables à des momies parcheminées. On ne peut pas dire que ça respire la bonne santé : un des premiers plans montre le personnage principal donnant à manger à ses animaux familiers des (véritables) asticots qu’il gratifie d’un (vrai) morceau de viande rouge. Décors sépia, mobilier délicat, murs marbrés qui ressemblent à de la barbaque et, en guise de bande-son, une chanson de crooner rétro et des gargouillements industriels. Eraserhead, le retour ? Pas exactement puisque ici le style est plus organique. Zieutant par un trou dans le mur l’autopendaison de sa voisine, notre ami décide de s’emparer du corps pour alimenter ses bébêtes… Contre toute attente, ça finit bien. Tout comme dans l’ironique Un Jour un homme acheta une maison (le 1er juin à 21 h 55) de Pjotr Sapegin, film norvégien en pâte à modeler, éclairé avec raffinement, où la parano domestique est elle aussi détournée de son cours quand le héros épouse l’infernal rat femelle qui parasite sa bicoque.
Dans le registre purement satirique, les Américains non hollywoodiens restent les meilleurs. Témoin le vétéran Bill Plympton, déjà remarqué avec son décapant long métrage L’Impitoyable lune de miel, qui excelle dans la forme brève. Que ce soit dans Surprise cinéma (le 4 juin à 22 h 40), sorte de Caméra invisible sadique où le présentateur facétieux joue des tours mortels à ses victimes, ou More sex and violence (le 6 juin à 2 h 20) où l’on voit de l’intérieur tout ce qui peut pénétrer dans la bouche d’une femme hédoniste. Moins radical mais aussi drôle, Everybody’s pregnant (le 6 juin à 2 h 25), où Debra Solomon relate en chantant à la Jonathan Richman le chemin de croix médical d’une femme stérile qui essaie tout pour avoir un enfant.
Mais tout ça n’est que de la petite bière à côté de Baby-Cue (le 31 mai à 16 h 20) d’Hazel Grian, qu’on prend au départ pour une niaiserie kitschissime, mais qui finit par dépasser en décadence les enfantillages d’Annette Messager ou de Jeff Koons. Réalisé exclusivement avec des poupées, des Barbie aux poupons de celluloïd plus rudimentaires, ce film raconte l’histoire d’un bébé partant à la recherche de son père qu’il a cru voir à la télé. Il se retrouve dans une sorte de camp de concentration déguisé en Espace du possible, un pays de cocagne disco pavé de roses mais d’infernales intentions, où le marchand de glaces a la tête de Michael Jackson et où l’on fait des barbecues avec des poupées démembrées. Barbie/Klaus Barbie, même combat. Ça ne sera certainement pas de tous les goûts, mais ce sommet de l’hypersurréalisme tranche avec le reste par son ambiguïté insondable (et le fascinant soundtrack d’Adrian Utley).
Les Occidentaux restent de grands inventeurs de formes, capables des visions les plus biscornues, mais ils sont presque dépassés sur le plan narratif, comme sur celui de la technique d’ailleurs, par les Japonais, rois incontestés du dessin animé actuel, issu du bouillonnement des mangas. En témoigne la programmation du Festival d’Annecy 99, qui met l’accent sur les Nippons. Avec d’abord une rétrospective de courts métrages couvrant les années 40 à 80 et une autre découvrant le sous-continent érotique. Rayon longs métrages, il y aura les derniers travaux en date des insurpassables Mamoru Oshii (Ghost in the shell), génie de la SF, avec L’œuf de l’ange (1996), et Hayao Miyazaki (Porco rosso, Mon voisin Totoro), sumo du dessin animé, dont on projettera La Princesse Mononoke (1997).
Miyazaki est un des fondateurs du désormais légendaire Studio Ghibli, tout comme Isao Takahata, son principal collaborateur et producteur. Egalement réalisateur, celui-ci n’a rien à envier à son collègue. On pourra le constater avec la diffusion de son sublime Tombeau des lucioles (1988) sur Canal+ (le 26 mai en VO). Un drame proche du néo-réalisme, à la fois très élaboré esthétiquement certains cadrages rappellent les estampes japonaises , et d’une puissance dramatique rare dans le dessin animé. Il met en scène deux orphelins, Seita, 14 ans, et sa petite s’ur Tetsuko, 4 ans, livrés à eux-mêmes pendant la Seconde Guerre mondiale, au moment où les bombardements américains font rage. Vaillants vagabonds, ils survivent chichement des rapines de l’aîné… Dans ce film d’une tristesse sans rémission coexistent en permanence la tragédie et une vision féerique du monde les jeux avec les lucioles, les splendeurs de la campagne. Quand Tetsuko s’amuse avec un crabe sur la plage, la bestiole la mène à un cadavre ; une boîte à bonbons fétiche deviendra un reliquaire… Malgré son côté Jeux interdits (film de René Clément), Le Tombeau des lucioles, dénué de tout moralisme, lui, avec son mélange de beauté et de désespoir, est plus proche d’Hana-bi de Kitano. On n’a sans doute jamais vu de dessin animé, de surcroît avec des enfants, aussi grave et adulte. De quoi mettre tout le cinéma d’animation hollywoodien à la poubelle. Banzaï !
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