Mitchell Froom, producteur
Vous avez produit Suzanne Vega, Elvis Costello, Paul McCartney, Richard Thompson, Crowded House, Los Lobos, ou encore les Pretenders. Beaucoup de stars mais peu de nouveaux venus, à part Ron Sexsmith et Cibo Matto.
Pourtant, je passe mon temps à rechercher des disques et des groupes excitants, originaux, mais j’ai le sentiment que l’offre actuelle est plate et conformiste. C’est un problème pour le producteur, mais surtout pour le fan de musique, assez frustré depuis quelques années. Depuis peu, je m’intéresse à Sparklehorse, des gens dans la marge, avec des idées fixes. Vic Chestnutt me plaît bien aussi, mais je reste quand même en quête de quelque chose de plus aventureux… On m’a donné l’autre jour une copie de l’album Funk power de James Brown (sorti en 66) : voilà le genre de disque que je trouve excitant, brûlant. On pourrait écrire dix pages en se concentrant uniquement sur ce qui se passe dans les fréquences graves du disque, entre le jeu de basse époustouflant et la batterie. C’est un disque qui résume à la fois la personnalité incroyable de James Brown et son amour pour le rythme, le groove, tout en faisant étalage de sa technique, de sa foi, de son incroyable confiance en lui-même et en son groupe. Je ne sais pas si quelqu’un d’autre au monde a jamais enregistré dans un tel état de confiance absolue. C’est une qualité très rare chez les songwriters. Ces dernières années, je crois que Liz Phair avait la même foi en elle-même, la même rage de dire les choses. Ses deux premiers albums ont une attitude, défendent un point de vue très fort, presque une morale, ce qui leur donne une force magnifique. Ce besoin de se faire entendre est une qualité extraordinaire.
Quels sont les disques avec lesquels vous avez grandi ?
Mon père était un fou de musique, qui nous faisait écouter ses disques préférés dans le salon, le soir venu. J’ai dû entendre certains enregistrements de Gil Evans et Miles Davis deux ou trois cents fois en sa compagnie. Ensuite, nous parlions des orchestrations, de l’émotion dégagée, c’était très instructif. Nous avions aussi un deuxième électrophone dans la chambre de mon frère, où nous écoutions des disques pop dans une semi-clandestinité. J’ai donc été bercé par les Beatles et les Beach Boys, avec une légère préférence pour les seconds, encore plus géniaux je crois… Ce que j’aime le plus chez les Beach Boys, c’est les 45t des débuts. Les gens sont fascinés par Pet sounds, mais hormis la sublime chanson God only knows, je crois que seule la nostalgie justifie ce choix. Pour moi, Pet sounds est un disque parfois maladroit, à la limite du rock progressif, alors que des singles du début comme California girls ou In my room vont à l’essentiel. Cette écriture-là était parfaite : à la fois concise et puissante sans rien perdre de l’émotion. Les mêmes qualités que je retrouvais sur I should have known better, ma chanson préférée des Beatles dont j’achetais également tous les singles, à 25 cents l’unité… Ensuite, en m’installant dans la baie de San Francisco, je me suis passionné pour la scène rock psychédélique, dominée par les Doors. J’ai été recruté dans mon premier groupe à l’âge de 13 ans parce que je savais jouer le solo de Light my fire à l’orgue. J’avais 14 ans en 67, une année totalement folle pour le rock. Ces années-là, j’ai adoré les Kinks, Hendrix, Led Zeppelin, des gens qu’on allait voir au Filmore West, à San Francisco… Je suis généralement assez bon public, curieux de tout. La seule époque musicale où j’ai vraiment souffert, c’est les années du disco. Je venais de m’installer à Los Angeles en espérant faire carrière comme producteur, et là, j’ai pris un coup sur la tête. J’ai bossé un jour, puis j’ai pris des vacances.
Des enthousiasmes récents ?
Les classiques : Radiohead, Beck. Et puis PJ Harvey, dont j’aime particulièrement le disque le plus radical, 4 track demos.
Vous avez des souvenirs forts de cinéma ?
Gamin, j’allais voir les films des Beatles, puis, adolescent, ceux d’Alfred Hitchcock. Aujourd’hui, je passe plus de temps à lire qu’à voir des films, mais je peux quand même citer La Vie est belle de Roberto Benigni, que j’ai trouvé magnifique et très touchant, et en tout cas au-dessus de tout soupçon moralement. Souvent, je vois des films uniquement pour leur musique : Bernard Herrmann, Ennio Morricone, Nino Rota… Parmi mes lectures récentes, je tiens à citer un nom, celui de A. J. Liebling, un écrivain américain des années 30, journaliste au New Yorker et auteur de plusieurs essais sur le sport, la boxe, et d’un livre fascinant sur les habitants de New York, Back where I came from. Un recueil de textes et d’impressions que tous ceux qui aiment cette ville devraient essayer de trouver.
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