Pour son deuxième film à gros budget après De beaux lendemains, Atom Egoyan s’est à nouveau attaqué à l’adaptation d’un roman, cette fois de l’écrivain irlandais William Trevor. L’explication de son choix par le cinéaste.Je n’étais pas sûr d’avoir envie, après De beaux lendemains, de travailler sur une nouvelle adaptation. Mais quand j’ai lu le […]
Pour son deuxième film à gros budget après De beaux lendemains, Atom Egoyan s’est à nouveau attaqué à l’adaptation d’un roman, cette fois de l’écrivain irlandais William Trevor. L’explication de son choix par le cinéaste.Je n’étais pas sûr d’avoir envie, après De beaux lendemains, de travailler sur une nouvelle adaptation. Mais quand j’ai lu le livre Voyage de Felicia de William Trevor, j’ai été saisi par l’intelligence de l’écriture, la profondeur des personnages, et par la façon dont beaucoup des thèmes résonnaient en moi. Dès le livre terminé, j’ai su qu’il fallait que je fasse ce film.
William Trevor est un des grands écrivains contemporains. Il brosse des portraits extraordinairement vivants ; il y a de l’urgence et de l’espoir dans le soin et la compassion avec lesquels il décrit ses personnages. Dans le cas du Voyage de Felicia, il a créé deux personnages ordinaires qui sont, en réalité, terriblement complexes et extraordinairement différents. Ils ont cependant en commun d’avoir été modelés par leur éducation dans des systèmes très structurés et très distincts. Felicia et Hilditch ont tous les deux peur de se confronter au monde, et chacun, à sa manière, fuit. Pour Felicia, c’est littéralement le cas, elle a quitté sa petite ville d’Irlande pour les mornes paysages industriels des Midlands britanniques à la recherche de Johnny.
La collision entre deux mondes le rural et l’industriel, l’innocence de la jeunesse et la « sagesse » perverse des intuitions de Hildtich, le choc des cultures irlandaise et anglaise fait que l’histoire était riche de possibilités d’interprétations cinématographiques. J’ai vu aussi dans l’ uvre de Trevor une fascinante déformation de l’histoire de la Belle et la Bête. Ici, Felicia est la jeune fille terriblement innocente, tandis que Hilditch est une bête monstrueuse d’un point de vue émotionnel et intellectuel plutôt que physique. Comme tous les grands mythes et les contes de fées, les deux personnages doivent faire face à leurs démons et évoluer de manière à atteindre leurs buts, ou plus précisément leur tranquillité.
L’une de mes plus grandes gageures était de raconter cette histoire de telle manière que je puisse montrer comment les deux personnages principaux ressentent le monde dans lequel ils vivent, et pas uniquement de les observer de l’extérieur. Pour moi, le cinéma, c’est ça ; il ne s’agit pas de montrer les choses de manière littérale, il s’agit d’utiliser les merveilleux outils que sont l’image, la structure et le son pour traduire ce que vivent les personnages, et aussi ce qu’ils font. Voilà ce qui m’intéresse : que le spectateur ressente ce qui se passe dans la tête d’une jeune femme qui vit son premier amour et qui est déchirée par ses émotions confuses et irrationnelles.
Etre confronté à un tueur en série, même sympathique, pose le dilemme de s’intéresser à ses origines en tant que monstre humain. Je ne veux pas dire que quelque chose de particulier soit arrivé à Hilditch quand il était enfant et que cette chose l’aurait amenée à être ce qu’il est. En revanche, ce qu’il a vécu dans son jeune âge n’a certainement pas contribué à le dissuader de devenir l’adulte monstrueux qu’il est. Hilditch est la manifestation la plus extrême d’une tendance qui est au c’ur de beaucoup de comportements mâles : le besoin de contrôler, et peut-être de détruire ce dont précisément on a besoin. Je trouve que ce que fait ce personnage est tout à fait répréhensible mais en même temps je comprends ce qu’il fait. Si je ne comprends pas, le personnage cesse d’avoir une valeur représentative. Je devais comprendre Hilditch pour le présenter. »
Sélection officielle, lundi 17 mai.