Billy Bragg hérite de chansons inédites du grand Woody Guthrie, mais a la mauvaise idée d’inviter Wilco. A priori, dans le rôle de Woody Guthrie, on aurait plus vu Springsteen, voire Dylan, héritier aussi naturel qu’autoproclamé du premier des grands singers-songwriters américains. Et puis Nora Guthrie a tranché : ce serait Billy Bragg et personne […]
Billy Bragg hérite de chansons inédites du grand Woody Guthrie, mais a la mauvaise idée d’inviter Wilco.
A priori, dans le rôle de Woody Guthrie, on aurait plus vu Springsteen, voire Dylan, héritier aussi naturel qu’autoproclamé du premier des grands singers-songwriters américains. Et puis Nora Guthrie a tranché : ce serait Billy Bragg et personne d’autre. A la réflexion, le choix de la plus jeune fille de Woody Guthrie était frappé du sceau de l’évidence : par-delà le temps et les frontières, Billy Bragg n’est jamais que le pendant anglais de Woody Guthrie, son véritable cousin spirituel. L’un fut le chroniqueur aride de la Grande Dépression, le témoin atterré de ces orages de poussière qui jetèrent sur la route des foules de paysans ruinés, la conscience de gauche d’une Amérique livrée à la folie libérale. L’autre, quelque cinquante années plus tard, armé de la même pauvre guitare et de la même détermination, anima la guérilla musicale à laquelle se livra l’Angleterre du Red Wedge contre la politique déprédatrice de Thatcher : un combat perdu d’avance, beau par essence. Aujourd’hui, les deux se rencontrent enfin. Le prétexte ? Un monceau de chansons écrites par Woody Guthrie après la guerre, alors qu’il résidait sur Mermaid Avenue, une artère de Coney Island. A l’époque, Woody est rangé des magnétos, mais reste étonnamment prolixe. Tous les jours, il écrit, comme il le fera jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’une maladie nerveuse l’empêche de tenir son stylo. Des centaines de chansons, sans partition, jamais enregistrées, des textes exhumés par Nora Guthrie, puis confiés à Billy Bragg pour leur faire épouser l’air du temps. Malheureusement, peut-être intimidé par l’ampleur de la tâche, le troubadour anglais a jugé nécessaire de s’adjoindre les services de Wilco, ces parangons du bon goût américain, aussi doués qu’impersonnels, incapables d’insuffler le moindre souffle de vie à leurs trop parfaites chansons. Du coup, Mermaid Avenue est un disque bâtard, où les chefs-d’oeuvre de Woody Guthrie vivent un épuisant ménage à trois, sans qu’aucun des protagonistes on vise Wilco ne songe à s’enfermer dans le placard. Quand Billy Bragg nippe ces textes historiques de simples accords de guitare sèche (Ingrid Bergman), quand il les offre à la voix si souvent galvaudée de Natalie Merchant (Birds and ships), quand il pimente de ses mélodies la cuisine fade de Wilco (Way over yonder in the minor key), Mermaid Avenue est tout bonnement digne du talent marmoréen de Woody Guthrie. Mais quand ce même Billy Bragg déserte l’album, la bande à Jay Bennett et Jeff Tweedy guide Mermaid Avenue à vue de nez, se contentant de servir à grandes louches une soupe country-rock sans la moindre saveur, tout juste bonne à égayer les nuits de Georges Lang sur RTL. Les amateurs apprécieront. Les autres écouteront Mermaid Avenue en pointillés, en maudissant Billy Bragg de s’être encombré de pareils empotés, assenant au passage un méchant tacle par derrière à la mémoire de Woody Guthrie.
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