Etoiles du label Hi Records, ils ont offert à la soul classique de Memphis ses dernières heures de volupté. Il existe un destin propre à la musique noire aux Etats-Unis : celui d’être le vecteur le plus assidu d’une certaine modernité, d’apporter à l’insu des modes et au mépris des préjugés ce soupçon d’innovation qui […]
Etoiles du label Hi Records, ils ont offert à la soul classique de Memphis ses dernières heures de volupté.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il existe un destin propre à la musique noire aux Etats-Unis : celui d’être le vecteur le plus assidu d’une certaine modernité, d’apporter à l’insu des modes et au mépris des préjugés ce soupçon d’innovation qui marque le présent et précipite le futur. Et de Robert Johnson à Public Enemy en passant par John Coltrane et Sly Stone, la liste des neutrons visionnaires venant régulièrement jouer aux quilles avec les certitudes de leur temps s’allonge sans cesse. La musique noire américaine a tellement sacrifié à l’énergie et si peu à la nostalgie (la nostalgie de quoi d’ailleurs, du temps béni de l’esclavage ?) qu’elle a pu par instant verser dans un certain conservatisme sans que l’on puisse pour autant lui faire le reproche d’un laisser-aller dans le confort d’écoute, voire d’une fâcheuse tendance à l’embourgeoisement. L’histoire du label Hi Records, qui connut son heure de gloire au début des années 70, constitue l’un des chapitres les plus paradoxaux de la soul, placé sous les signes divergents de l’immobilité et de la fulgurance.
Hi Records, comme Motown, Philadelphia ou Specialty, c’est d’abord l’affaire d’un homme et d’une ville. La ville, c’est Memphis, berceau de cette chose hybride que l’on nomme rock’n’roll. L’homme, c’est Willie Mitchell, trompettiste du Bill Black Combo dans les fifties, architecte du Memphis sound et producteur avisé que tout le monde a rêvé d’avoir un jour pour maître d’œuvre. Le son Willie Mitchell se caractérise par une certaine paresse, une rare capacité à retenir le beat, à faire ramper les notes. Il est également reconnaissable à l’absence d’effets sonores, qui donne à la batterie cette couleur mate, à la basse une vibration épurée, aux cuivres cet éclat naturel et aux violons la particularité d’être confinés dans une intimité ouatée. Willie Mitchell n’innove en rien ce que Stax à établi depuis dix ans, mais il contribue à prolonger le règne de Memphis sur la soul. A son royaume ne manquaient qu’un roi et une reine, il y fera trôner Al Green et Ann Peebles tous deux originaires du Nord, lui du Michigan, elle de Saint Louis , qui n’eurent jamais le privilège d’enregistrer ensemble mais jouèrent la même musique. Pure soul. Ce qui les distingue relève autant de la technique que des intentions. Quand Ann Peebles chante, on pense immédiatement à ce qu’Edith Piaf dit de la jeune femme amoureuse dans L’Accordéoniste : « Ça lui rentre dans la peau, par le bas, par le haut, elle a envie de chanter c’est physique. » Il n’y a jamais chez elle la moindre légèreté, la plus fortuite velléité de séduire, mais une tension qui va culminer avec le sublime I’m gonna tear your playhouse down et qui la lie charnellement à ses sœurs de véhémence, Aretha Franklin, Tina Turner et Etta James. Al Green en revanche appartient à la race des grands félins du chant noir, aux côtés de Wilson Pickett, et se révèle aussi un formidable catalyseur d’ambiance comme il n’en existe plus. Demandez à ce malin de Tarantino pourquoi dans Pulp fiction, il fait jouer Let’s stay together lorsque se rencontrent, sous la lumière tamisée, Butch le boxeur et Marcellus Wallace le truand. Cette sophistication dont la musique est rigoureusement dépourvue, la voix d’Al Green la propage par ondes concentriques, comme une lente, progressive et intraitable irradiation de plaisir.
Ces deux coffrets, pesant chacun leurs 60 titres, vous pourrez les brandir comme les tables de la loi, ils vous serviront encore à l’heure de la débauche.
Al Green, A Deep shade of Green (coffret 3 CD); Ann Peebles, Saint Louis woman/Memphis soul (coffret 3 CD)- (Hi Records/Demon/Musidisc)
{"type":"Banniere-Basse"}