Les clips de rap, filmés sans imagination aucune, se succèdent sur les chaînes musicales dans une parfaite monotonie nocturne.
Les vidéo-clips ont toujours exprimé, par l’affirmation de divers choix plastiques, la modélisation d’un univers propre à l’épanouissement des individus fédérés par tel ou tel genre musical. Ils proposent en somme un programme de comportement lié à une vision du monde, transcendée par un style musical parfois, jusqu’à la caricature. New-wave, cold-wave, néoromantique, gothique, post-pop se sont ainsi servis du clip comme outil au service d’un projet global, unifié en même temps que diffusé par un style. Les jeunes gens modernes du début des années 80 n’ayant pas accès à la télévision procédaient de même avec le graphisme, de Bazooka à Un Regard moderne. Même les boys’ bands n’échappent pas à ce constat : l’esthétique de leurs clips est en parfaite adéquation avec la niaiserie du projet de vie qu’ils véhiculent dans de minables décors de sitcoms.
La techno est le premier contre-exemple d’une « esthétique » contemporaine qui s’est développée, au départ, dans une indifférence parfaite au médium télévisuel. Elle s’est trop tôt diluée dans l’univers médiatique, en s’exprimant d’abord au travers d’interviews et de reportages, en réinvestissant aussi le champ du graphisme. Mais la techno n’a pas affirmé initialement d’univers vidéo qui lui soit propre, qui dépasserait les simples trucages électriques qu’un Nam June Paik avait épuisés depuis déjà vingt ans.
L’essentiel des clips de la nuit sur M6 est désormais composé de « chansons de rap ». Elles se succèdent dans une parfaite monotonie (une atonie en adéquation avec la diction parlée, préférée au chant) et, tour à tour, divers parleurs pensent atteindre (en plus de la notoriété que leur confère l’accès à l’espace public suprême) une notabilité due aux vers médiocres qui leur tiennent lieu de poésie. Ainsi l’intégration sociale se fait-elle par le haut : au prix d’une piètre parodie du travail intellectuel et avec Bernard Pivot recevant des rappers à Bouillon de culture, la boucle est bouclée. L’esthétique qui sédimente cette purée accablante est à sa mesure. Stéphane Davet pointait dans Le Monde le « featuring » (esprit de bande) qui caractérise l’interchangeabilité des acteurs dans les groupes de rap. Interchangeables, les images de leurs clips le sont aussi. La quasi-totalité des vidéo-clips des « chansons de rap » utilisent avant tout une caméra posée au sol, que des acteurs interchangeables méprisent et provoquent en la regardant de haut, si possible en feignant le dégoût et l’arrogance. Métaphore du corps social dans son entier, la caméra « à terre » (comme on le dirait d’un homme à terre) ne peut que se soumettre à la logorrhée minable, belliqueuse et néanmoins victorieuse de bande dont les aspirations sont ailleurs.
Il serait naïf de croire que l’image des groupes de rap dans leurs vidéo-clips est celle que leur renvoie la société. C’est au contraire, et fort traditionnellement, celle qu’ils ont choisi de fabriquer pour exprimer un projet de vie : celle de visages déformés par une contre-plongée qui n’a rien à voir avec le Grand bleu.
Eric Troncy
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