Depuis que les Huns de South Park sont passés par là, il colle au Colorado cette image de Ploucland montagnard et atroce. De Denver, Colorado, émerge pourtant aujourd’hui le groupe de rock le plus distingué depuis, mettons, les Tindersticks. The Czars, quatuor à cordes vocales inoubliables (celles de leur leader John Grant), est la grande […]
Depuis que les Huns de South Park sont passés par là, il colle au Colorado cette image de Ploucland montagnard et atroce. De Denver, Colorado, émerge pourtant aujourd’hui le groupe de rock le plus distingué depuis, mettons, les Tindersticks. The Czars, quatuor à cordes vocales inoubliables (celles de leur leader John Grant), est la grande trouvaille de l’ex-Cocteau Twins Robin Guthrie sur son inégal label Bella Union.
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Ce second album (mais où est passé le premier ?) fut enregistré en Angleterre, produit par l’autre « jumeau » Simon Raymonde, ce qui explique en partie le flou qui nimbe ces chansons aux racines pas toujours plantées dans la bonne terre, à l’imaginaire souvent écartelé entre leur sol natal américain et une illusion quasi astrale. Et l’astre majeur, ce chant de sirène vers lequel il ne faut pas longtemps pour qu’on se tourne (le premier couplet du sublime morceau d’ouverture, Val, suffit), porte d’ailleurs un nom : Tim Buckley.
Sur le site Internet de leur label, les Czars délivrent leur propre version (respectueuse) de Song to the siren et presque tout dans Before… but longer ramène à cette source : la voix, ce vibrato passionnel qui manipule les octaves comme des pions sur un échiquier, mais aussi la méticulosité instrumentale, la polyrythmie savante des constructions (Concentrate) héritée du jazz, la richesse des détails qui peuplent en creux ces chansons les animent comme des fantômes, tandis que la vue d’ensemble conduit à un monde dévasté, intérieur et passionnant. Ici un vibraphone qui dégringole en douceur, là un piano qui flanche, ailleurs l’écho d’un clavecin raide comme une pluie de grêle, partout ces guitares jouent entre elles à se tailler des plaies et à les embaumer aussi sec. Invitée dans les chœurs, la voix de Paula Frazer (Tarnation) rappelle les rudiments country de cette musique qui n’a d’yeux que pour les sommets, l’élévation, le détachement progressif de la couche terrestre. Quand on se souvient que This Mortal Coil, le fleuron collectif du label 4AD (dont les pensionnaires principaux, les Cocteau Twins, tirent ici les ficelles dans l’ombre), ouvrait déjà le tombeau de Tim Buckley, on comprend mieux la communauté d’esprit qui se dessine en arrière-fond.
Déblayé des effets new-wave et de cette dentelle électrique qui enrubannait et stérilisait les productions de l’époque, il demeure ici tout ce vers quoi les esthètes anglais n’ont jamais pu aller (le seul qui s’en approchait, Mark Kozelek de Red House Painters, était déjà américain), c’est-à-dire cette beauté rigoureuse et spartiate d’un verbe musical mélancolique dont le complément d’objet direct serait la recherche éperdue de la grâce. Avec la seule Val, d’ores et déjà chanson de l’année, les Czars y parviennent, et il faudra un Radiohead en grande forme pour venir les y déloger.
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