Ils sont quelques dizaines mais occupent le débat public en Allemagne : les adeptes de la “post-privacy”, l’après-vie privée. Pour eux, l’évolution du net rend la protection des données personnelles impossible et dépassée. Rencontre.
« Quatre heures trente-10 h 25 : sommeil. 12 h 05-17 h 45 : rendez au KFC avec x, puis manifestation. 18 h : sommeil. » Depuis 2010, Christian Heller poste ainsi son existence sur son wiki. Le curieux y apprend que ce jeune homme de 24 ans paie sa redevance audiovisuelle, a déclaré 4 261 euros de revenus aux impôts en 2010 et dépensé 149,52 euros en monnaie en janvier 2011. Pas de confidences trop intimes toutefois. « Je ne veux pas exposer d’autres personnes que moi », justifie ce diariste 2.0 et défenseur de la fin de la vie privée.
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Christian Heller vient de publier un livre (en allemand) sur le sujet : Post-privacy, Vivre bien sans sphère privée. Il fait aussi partie du groupe Post-Privacy-Spackeria (de Spacko, « idiot ») créé l’année dernière outre-Rhin. Le mouvement compte quelques dizaines de fidèles, pour beaucoup issus du milieu hacker et du Parti pirate. Ils dialoguent, organisent des conférences et se sont imposés dans le débat public.
« Poussées à bout, les positions des protecteurs des données représentent une menace pour la liberté du net, même si, en pratique, ce sont des tigres de papier. »
Pour Christian Heller, préserver sa vie privée est de toute façon devenu impossible, puisque tout ce qui atterrit sur la toile n’en sort jamais vraiment, et que notre existence offline se rétrécit de plus en plus.
Reste qu’en Allemagne, les institutions chargées de la question ont bataillé ces dernières années contre Google Street View, la reconnaissance faciale ou le « J’aime » de Facebook. « Ces discussions n’ont aucun intérêt, juge Caspar Clemens Mierau, 34 ans, autre membre du groupe. C’est comme l’agitation autour de la nouvelle timeline de Facebook, qui est juste une autre manière de visualiser les données. Aujourd’hui, c’est impossible de garder certaines infos confidentielles. »
Caspar Clemens Mierau utilise par exemple l’application Foursquare, pour retrouver des amis en fonction du lieu où il est.
« Avec ça, mon assurance maladie peut savoir que je passe beaucoup de temps dans les restaurants et en conclure que je suis en surpoids. Mais la solution n’est pas de m’empêcher de recourir à ce service, plutôt de contraindre mon assurance à me proposer un tarif non discriminatoire. »
« L’expérience dit qu’aucun internaute ne réagit comme le veulent les défenseurs de la vie privée », affirme Daniel Schweighöfer, autre adepte de la transparence. Nous ne voulons pas obliger tout le monde à tout dévoiler sur le web, affirmemais permettre de le faire sans que cela pose problème, et pas avec des prescriptions impossibles à suivre pour des utilisateurs quotidiens d’internet, comme nous. C’est un combat social. »
Renoncer à sa sphère privée pourrait aussi aider à se défaire de la puissance de Facebook et d’autres. « En voulant protéger nos données confiées au réseau social, on lui en accorde le monopole. Voilà le problème », analyse Christian Heller. La solution : donner nos infos personnelles à toute la toile. « Plus nous en publions, moins elles ont de valeur. »
Et la frontière entre renseignements strictement individuels et ceux d’intérêt public est floue, affirment les tenants de la post-privacy. Au sujet des déclarations d’impôts par exemple. « En Norvège, elles sont accessibles à tous sur internet, souligne Caspar Clemens Mierau. L’idée d’utilité publique est culturelle. » Comme celle de sphère privée. En visite en Allemagne, le blogueur et expert américain Jeff Jarvis remarquait il y un an ce paradoxe germanique : on ne laisser pas Google photographier sa maison mais on se balade nu dans des saunas mixtes.
Rachel Knaebel
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