Performance, photo, sculpture, installation… Sans Breitling mais avec un simple ballon jaune, l’artiste allemand Hans Hemmert refait le tour de l’art en 80 péripéties.
Installé dans la galerie Cent 8, un énorme ballon jaune occupe presque le quart supérieur de la pièce, son grand corps amorphe et rond s’avachit contre les murs, flotte au-dessus d’un petit salon, prêt à absorber le canapé rouge, tandis que les étagères blanches résistent et s’enfoncent dans sa masse. Mine de rien, entre les meubles ordinaires et le ballon, c’est un combat tragique et grotesque qui se livre sous nos yeux, la lutte continuelle de la forme contre l’informe, du réel contre l’absurde. Il y a de l’air dans le ballon, de l’orage dans l’air, la tension est à son comble, sans cesse au bord de l’explosion le galeriste Serge Le Borgne en témoigne : « Je n’ai pas dormi de la nuit. Je pense à ce truc avec angoisse, j’ai toujours peur que ça pète. Quand on l’a installé hier, il frôlait le tabouret blanc. Et ce matin il l’écrasait presque : le ballon subit comme ça des variations. Il y a du soleil aujourd’hui, alors forcément, il se dilate. » Le ballon est une matière vivante : extension du domaine de la lutte. Hans Hemmert, lui, ne s’inquiète pas : des ballons jaunes, il en a vu d’autres, certains ont même explosé, renversant tout sur leur passage. Parfois il entre dedans, referme le ballon sur lui-même, et accomplit ainsi des gestes anodins : monter à l’échelle, grimper à la corde, embrasser une femme. Voué à l’échec, mais bien essayé quand même : dans cette série de photos plutôt hilarantes, le bibendum jaune est attendrissant et bêta. Coincé dans sa bulle, il est l’image malheureuse de ceux qui, à commencer par l’artiste, entretiennent un rapport maladroit et gauche avec le reste du monde.
D’autres fois encore, Hans installe un ballon dans son atelier, entre dedans avec son matériel photographique et le gonfle de l’intérieur, au maximum. Alors le ballon s’épand à la taille de la pièce, la fine couche de latex se colle aux murs comme du papier peint, épouse et recouvre les moindres objets de l’atelier devenu entièrement jaune (les chaises jaunes, les fenêtres jaunes, et même la Vespa jaune garée à l’entrée de l’atelier berlinois). Hans se prend alors lui-même en photo dans cet espace vide et monochrome : image mentale, wall-painting total, l’image photographique extraite de cette expérience yellow est à proprement parler hallucinante. « Pour faire cette série, j’ai pu rester une journée dans le ballon, je respirais en circuit fermé. Mais forcément je me sentais mal, les choses flottent et en sortant je voyais tout en orange : le ciel, mes meubles, mes amis. Ça a duré comme ça cinq à dix minutes. »
Sculpteur à l’origine, Hans Hemmert a essentiellement trouvé dans le ballon une forme souple, apte à de multiples travaux. « Pour moi, c’est juste un outil, comme un stylo. Mais un outil sans fixité, qui me permet de faire des choses très différentes, vidéo, performance, installation… Et puis c’est une matière souple, tout en courbes, sans arêtes ; c’est confortable et ergonomique comme du design, c’est aussi très proche du corps : dans le corps humain, il n’y a que des courbes, rien de tranchant. Et le plastique fait aussi l’effet d’une peau, ça fait à peine 0,2 mm d’épaisseur. C’est un peu la même chose pour le jaune : j’avais fait des choses avec des ballons rouges ou transparents, et depuis 95 j’utilise le jaune. C’est une couleur sportive, baroque, et en même temps très abstraite, éminemment spirituelle. »
Etonnant de souplesse, le ballon jaune se prête même à toutes les interprétations : physique des corps ou image de la conscience, voire espace freudien et matriciel jouant sur le dedans et le dehors. Dans ses propos, Hans Hemmert entrecroise lui-même les références, Barbapapa et Bruce Nauman : c’est dire à quel point il a réussi à concilier l’histoire de l’art et les jeux d’enfants. Il suffisait de cette forme non-forme, évidente et complexe, de ce ballon jaune autant populaire que métaphysique.
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