Nouveau venu dans l’univers des réseaux sociaux, le très visuel Pinterest suscite l’engouement des internautes.
Depuis la naissance de Google+, on n’avait pas vu une telle excitation à propos d’un réseau social. Pinterest, lancé par Paul Sciarra, 28 ans, ex-analyste financier, et Ben Silbermann, 29 ans, ex-employé de Google, a vu sa fréquentation multipliée par près de trente en moins d’un an, pour compter quelque 12 millions de visiteurs uniques en janvier.
Mélange de Twitter et de blog Tumblr, Pinterest permet de créer des tableaux virtuels sur lesquels on peut punaiser (« pin ») et organiser des images glanées sur le web. Les membres peuvent commenter chaque image en 500 signes, suivre d’autres membres ou leurs tableaux, et reposter (à la façon des retweets) leurs images.
« Enfant, je collectionnais n’importe quoi, des insectes aux livres. Ce qu’on collectionne révèle beaucoup de choses sur sa personnalité. J’ai pensé que ça serait génial de transposer cette expérience en ligne », raconte Ben Silbermann dans une de ses (rares) interviews, sur le site de la chaîne de déco HGTV.
Lancé il y a deux ans, Pinterest a commencé à avoir du succès dans le Midwest, puis la machine s’est emballée, notamment auprès du public féminin : d’après les statistiques de Google Ad Planner, les utilisateurs de Pinterest sont des femmes à 80 % – le site se destine d’ailleurs principalement à elles, expliquant dans sa fiche d’identité que « les gens utilisent Pinterest pour préparer leurs mariages, décorer leurs maisons, organiser leurs recettes préférées ». Les tableaux consacrés à ces thèmes abondent : on en compte plus de 500 pour le mot-clé « mariage »!
Alors que les pages peuplées de chats, de phrases de motivation ou de voitures pullulent, les sujets plus originaux (la cartographie, les cabanes dans les arbres…) ne manquent pas. On repère peu de pages trash – les conditions d’utilisation interdisent la nudité et Pinterest a de toute façon déjà fait des émules spécialisés dans le porno, comme Snatchly ou Pornterest. Sont présents sur Pinterest des grands magasins (Bergdorf Goodman), des ONG (Amnesty International, Unicef, WWF…), des musées (le musée d’Art moderne de San Francisco, le jardin botanique de New York), des magazines (Newsweek, le Wall Street Journal et son tableau consacré à… Pinterest, Life et son très beau tableau Vintage Retrospect), d’autres sites communautaires (Etsy), et des stars du net comme Mark Zuckerberg.
Certains utilisent le site pour leur travail, comme Kristen Hewitt, directrice artistique de l’éditeur Chronicle Books : “Avant, quand j’essayais d’établir une palette visuelle pour un projet, je créais de feuilles de style que j’envoyais au photographe, au styliste, à l’illustrateur, au designer. Maintenant je leur envoie un lien et on collabore sur un tableau commun.” Des jeunes créateurs y font connaître leur travail, des marques (Club Monaco, Nordstrom…) tentent de fédérer autour de leurs produits. Associé à chaque image, un lien renvoie sur son site d’origine et les marques peuvent rediriger les internautes vers leurs plates-formes. Les membres téléchargeant des images provenant de sites marchands font aussi indirectement la promotion de ces derniers.
D’après Monetate.com, Pinterest redirigerait déjà plus de trafic vers les sites marchands que Google+. Si Pinterest connaît un tel succès, c’est certainement parce qu’il comble un vide entre Twitter – qui ne permet pas de fixer et visualiser les choses –, et les blogs, mal adaptés au partage communautaire. Mais comme Twitter, il semble avoir du mal à définir un modèle économique.
“On essaiera peut-être d’ajouter des pubs, mais on n’a pas encore commencé”, expliquent les fondateurs.
Avec les centres d’intérêt des membres aussi clairement exprimés, les annonceurs devraient être intéressés, mais les utilisateurs, peu enclins à voir leurs données utilisées, devraient être moins enthousiastes. Enfin, Pinterest a déjà quelques détracteurs. Les défenseurs du copyright, qui voient en un copier-coller de photo une infraction, s’énervent déjà. Soucieux d’éviter la polémique en plein succès, Pinterest propose une feuille de notification de violation de copyright, et retire tout contenu signalé. Le site vient également de créer un code que les administrateurs de sites peuvent ajouter sur leur page, et qui empêche le téléchargement de leurs images.Le site de photos Flickr utilise déjà ce code pour les photos soumises au droit d’auteur.
Anne-Claire Norot