Avec Un Plan simple, film tenu et dépouillé qui ne dément pas son titre, le compère des frères Coen surprend et convainc par un classicisme rigoureux.
Un Plan simple est bien le dernier film qu’on attendait de Sam Raimi, c’est donc une heureuse surprise. Car si, jusqu’à présent, chacun de ses films offrait quelques moments de jubilation écervelée, le ludisme de petit malin et les acrobaties de caméra finissaient par lasser. Darkman demeurait bien en deçà d’un Tim Burton, la série des Evil dead évoluait du gore au divertissement fantastique quasi familial, attachant car anachronique, et Mort ou vif hésitait entre le recyclage parodique et la prise au sérieux des enjeux du western.
D’où le choc de ce nouveau départ, qui prouve que le cinéma américain n’a pas pour seule issue la mise en abyme désabusée, mais peut encore se nourrir d’un classicisme synonyme de rigueur plutôt que de nostalgie. La simplicité est donc ici principe de mise en scène, comprise comme pure démonstration de la logique du scénario c’est, toutes proportions gardées, la leçon des derniers Fritz Lang. Le récit met cap au pire avec constance mais sans noirceur complaisante, avec au contraire toute l’apparence de la nécessité.
Soit donc un homme ordinaire, heureux en ménage, futur papa ; son frère, un peu moins gâté par la nature et par la vie ; et un comparse bas du front, que le premier tolère sans plus. Lorsque le trio, en guise d’étrennes, découvre un magot littéralement tombé du ciel (un avion écrasé, une sacoche d’argent sale drogue ou kidnapping) et le dissimule sans oser s’en servir, ce secret partagé devient à la fois lien fatal et pomme de discorde. Et la trouvaille met au jour non seulement l’égoïsme et la cupidité enfouis de chacun des protagonistes, mais ravive de vieilles rancoeurs, jalousies fraternelles, préjugés de classe. Jamais pourtant on ne sombre dans la noirceur de pacotille d’un Petits meurtres entre amis, tant les sentiments inavouables demeurent ici terriblement ordinaires, tant surtout la violence demeure un lapsus, aussi accidentel que la richesse. Chacun a ses raisons et l’opacité des mobiles et des actes masque moins un quelconque machiavélisme qu’elle ne trahit la paranoïa du regard.
La grande intelligence du film (comme du roman de Scott B. Smith), c’est que le spectateur ne peut manquer de s’identifier au narrateur, comme incarnation de la norme sociale, d’une relative aisance matérielle et langagière, et de l’intelligence rationnelle, alors même qu’au nom de la raison il se comporte comme le pire des salauds. Et la terrible humanité des deux autres (formidable Billy Bob Thornton) ne suffit pas à combler le fossé, elle suscite plutôt honte et malaise en nous renvoyant à l’obscénité de notre propre pitié.
Le film se passe dans un Midwest enneigé qui rappelle forcément Fargo. Mais si réussi soit-il, le film des frères Coen, vieux complices de Raimi, n’échappait pas complètement à une condescendance ricanante envers l’incompétence et l’aveuglement de ses pitoyables criminels, que seule tempérait la compassion pour les victimes bien réelles du fait divers d’origine. Le loser était un pantin, les tueurs des bêtes curieuses. Ici, la violence ne fait rire que par réflexe de défense, comme chez Hitchcock, et parce qu’elle rend les corps grotesquement malléables sans qu’il soit besoin de les passer au broyeur étonnante retenue pour un vétéran du gore. Et la jouissance perverse à voir les anti-héros se débattre dans l’engrenage se mêle d’une immense tristesse.
Le film, à l’écoute de ses acteurs, est aussi d’une cohérence plastique dont le formalisme est démenti par une constante attention au concret. Dans la blancheur envahissante, pureté à ternir ou menace d’annihilation, et où toujours se pose la question des traces, un corbeau fait le guet, un renard se glisse dans un poulailler. Mais le premier n’est pas un simple oiseau de mauvais augure, ni le second un symbole facile d’avidité. Faune réaliste autant que bestiaire allégorique, ils participent tous deux des circonstances nécessaires pour que le drame se noue. Force d’un film où chaque élément pèse de tout son poids matériel, où la faute est une affaire de geste en trop. L’économie du récit, la dépense du malheur.
Un Plan simple de Sam Raimi, avec Bill Paxton, Billy Bob Thornton, Bridget Fonda, Brent Briscoe