Stanley Kubrick évitait les médias. Non par paranoïa aiguë, mais par lucidité d’un homme fuyant l’accessoire pour se consacrer à l’essentiel : son art.
Stanley Kubrick était devenu le reclus le plus célèbre du cinéma. Contrairement à Greta Garbo ou à Terrence Malick, le retrait de Kubrick s’appliquait uniquement aux médias : l’auteur d’Orange mécanique n’avait jamais cessé de travailler sur ses films. Mais, depuis vingt-cinq ans, il n’apparaissait jamais à la télévision, ni en photo dans les magazines, ne consentant à accorder que de très rares entretiens. Réclusion qui, bien sûr, nourrissait toutes les rumeurs et attisait la curiosité.
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On le disait cloîtré dans sa propriété londonienne, sorte de Xanadu infranchissable, entourée de grilles et de codes d’accès. Evidemment, l’image d’un citizen Kubrick est très tentante, fantasme de démiurge mégalomane retranché dans sa tour d’ivoire, n’admirant que son nombril et méprisant l’humanité entière. On peut aussi inverser le tableau et voir en Kubrick simplement un homme essayant de préserver sa santé mentale et son intégrité artistique dans un monde rendu fou par sa boulimie médiatique. Kubrick avait décidé de consacrer tout son temps à son art, de ne pas le dilapider pour nourrir l’ogre médiatique, de ne pas s’interposer entre le public et son uvre on peut aussi comprendre ce qu’il y a de débilitant à répéter cent fois les mêmes choses pour cent médias différents. En ce sens, il rejoignait un Godard quand celui-ci regrette l’importance démesurée des personnalités par rapport aux uvres (mais Godard est plus pervers, tantôt chat tantôt souris des médias), un Rivette ou un Rohmer qui refusent de se laisser prendre en photo ou de parler d’eux-mêmes, ou encore un Pialat maugréant que l’entretien serait la panacée des journalistes paresseux ou sans idées qui font travailler les interviewés à leur place.
Comme tous ces cinéastes, Kubrick résistait à la dictature molle du people, refusait de superposer un discours à ce qu’exprimaient déjà ses films. Il mettait en pratique cette idée très simple : pourquoi un créateur s’exprimerait-il publiquement puisqu’il l’a déjà fait à travers ses créations ? La forclusion volontaire de Kubrick signifiait aussi la primauté de l’ uvre sur l’artiste, la priorité de l’art sur la culture, une certaine résistance du cinéma face à la machine du spectacle médiatique.
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