Qui a dit que Pompidou était ringard ? L’exposition que lui consacre le Jeu de Paume tente de démontrer le contraire pour en faire le Président de la modernité française. Un come-back peu convaincant.
Un salon beige-orange presque mou, aux formes organiques, des tables en verre fumé marron, des parois en plexi violet, orange ou rouge : ce décor seventies à mourir, qui rappellerait plutôt 2001, l’odyssée de l’espace, fut bel et bien celui de l’Elysée entre 1970 et 1974. A l’étage supérieur de la galerie nationale du Jeu de Paume, la reconstitution des salons, réalisés par Yaacov Agam et Pierre Paulin, s’impose comme le clou de l’exposition « Georges Pompidou et la modernité ». Et c’est vrai qu’à côté d’un tel paysage les stucs giscardiens, la roche de Solutré de Mitterrand et la CX de Chirac font pâle figure. A l’inverse d’une France tranquille et frottée aux valeurs terriennes, cet homme politique amateur d’art aurait donc opté pour la modernité. Et ce, dans tous les domaines, évoqués salle après salle : architecture, musique, arts plastiques et même littérature. Voilà ce qu’essaie de nous dire l’exposition que le Jeu de Paume consacre au Premier ministre, puis président de la République Georges Pompidou. Selon Daniel Abadie, directeur du Jeu de Paume, l’action culturelle de Pompidou est exemplaire : « Il a compris et démontré que l’Etat peut avoir un rôle dans la modernité, sans pour autant que le politique se substitue au culturel. Car il s’est toujours gardé d’intervenir personnellement dans les choix faits par les artistes ou les responsables culturels. Il n’y a pas pour moi de style pompidolien, plutôt un climat propice à la création moderne. »
Mais quelle modernité ? On a beau faire des efforts, admettre l’idée que le Président Pompidou a su rompre avec une vision monarchique du pouvoir que l’on retrouvera plus tard sous Mitterrand, on a beau surtout reconnaître les bons goûts artistiques de Georges et de sa femme Claude (Giacometti, Hartung, de Staël, mais aussi les Nouveaux Réalistes avec Klein, Arman, César, Hains…), admirer l’audace totale de Beaubourg, bâtiment de la modernité en ce qu’il rompt avec les éternelles façades Empire, ou encore le choix très osé de l’Ircam, dirigé par un Boulez revenant de dix ans d’exil, un fort soupçon demeure. Déjà par tout ce que cache ou occulte l’exposition : les tours de Montparnasse et du xiiième arrondissement, la vision technocrato-administrativo-bancaire de La Défense, les autoroutes urbaines du front de Seine, les marinas baies des anges, l’idéologie du Paris-béton et du tout-automobile. Et puis on revient à ces fameux salons de l’Elysée où traîne un air foutrement kitsch, à ces canapés en mousse qui devinrent pour tous les chefs d’Etat étrangers le siège et la vitrine de la modernité française (et où l’on s’imagine bien rencontrer, cul nu, Michel Polnareff). En réalité, il flotte ici un air de modernité outrée, et peut-être même un doux parfum de vraie ringardise, de pop vieillote. A la fin de la première visite, on se repose à nouveau la même question : quelle modernité Georges Pompidou et cette exposition essaient-ils de nous vendre ?
« Georges Pompidou, parangon de la modernité ? Mais c’est quand même l’emblème de la droite conservatrice ! » Historienne, Anne Simonin fulmine contre l’amnésie française, se souvient de la mort « très brejnévienne de Pompidou » et pose la question cruciale selon elle, et non résolue par l’exposition, des choix littéraires terriblement classiques du président Pompidou : « Pour comprendre, il faut revenir à l’attitude de Pompidou pendant la guerre : ni de Gaulle ni Malraux, lui a eu en 39-45 une attitude convenable, mais attentiste. De formation littéraire, Pompidou termine son Anthologie de la poésie française avec Paul Eluard. Et de 1950 à 1970, il passe complètement à côté du Nouveau Roman, de Beckett, Cayrol, Barthes. Un tel aveuglement reste étonnant. C’est-à-dire qu’il passe à côté d’une modernité littéraire qui s’est pensée à partir d’Auschwitz et Hiroshima. En faisant le choix du design, de l’architecture ou de l’art contemporain, et donc d’une modernité toujours en rupture et coupée de toute réflexion historique, Pompidou crée un effet de surprise : pour moi, sa modernité est un mensonge, c’est une manipulation idéologique qui lui permet de se penser et de se poser par rapport à de Gaulle. »
De fait, c’est bien l’Histoire qui est absente de l’exposition, et avec elle disparaissent les contradictions de l’époque : rien sur le trajet personnel de Pompidou, rien non plus sur les vagues de contestation de l’ère Pompidou, ni sur les doutes émis à l’égard de cette modernité confiante, progressiste et sûre d’elle-même qui sert alors d’idéologie dominante. Maigre, flottante, alignant les sculptures de Giacometti comme une armée au pas, déroulant des citations ronflantes à la manière de Jenny Holzer, dotée de gadgets insignifiants (une maquette interactive du Centre Georges Pompidou), privée de tout regard critique, l’expo prend alors l’allure d’une hagiographie molle, d’un hommage sans relief et sans combativité.
Témoignage historique faussé, l’expo apparaît alors comme une simple promenade nostalgique ou amusante dans les années 70. Au passage, elle redonne une histoire culturelle à la droite libérale, qui ne l’attendait plus à force de l’avoir désertée, et un héros en plexi, béton et mousse. Le style pompidolien, ce serait donc cela : faire encore le choix, et jusqu’en 1974, d’une « modernité » dont certains contemporains de Pompidou avaient déjà voulu se débarrasser en 1968. L’artiste Gérard Fromanger confirme. Lui avait, avec Dubuffet, Buren, Martial Raysse et d’autres, refusé d’exposer et d’être « récupéré » dans la fameuse « expo Pompidou », commanditée en 72 par le Président pour montrer la vitalité de la création française : « Après 68, Pompidou était notre ennemi intime, il avait repris les choses en main pour de Gaulle, avait tout négocié pour la bourgeoisie française et remis la France au travail, sans rien garder de nos utopies. On le voyait souvent dans Paris-Match, se pavanant dans ces salons « modernes ». Pour nous, c’était un banquier un peu éclairé, le représentant de la grande bourgeoisie d’affaires. Ce n’était pas du tout notre modernité. » A l’étage supérieur du Jeu de Paume, les salons élyséens sont protégés du public par un léger cordon, un peu comme à Versailles la chambre à coucher du roi. Au final, une bien faible idée de la culture.
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