Tomates, choux, violettes… Psychédélique mais un peu triste, le jardin artificiel de Fischli et Weiss au musée d’Art moderne de Paris ne fait pas oublier leurs géniaux bricolages d’images et d’objets.
Un ours et un rat jouent de la trompette et du tambourin au sommet d’une colline, l’humanité tout entière supposément étendue à leurs pieds. Les deux peluches à taille humaine s’en donnent à coeur joie. « Tu crois que quelqu’un nous entend ? » demande l’un. « Il faut jouer plus fort », répond l’autre. Ainsi se termine Le Droit chemin, film tourné en 1983 par les artistes suisses Peter Fischli et David Weiss. Un étrange road-movie naturaliste où les deux hommes, cachés sous leurs costumes d’animaux, traversent la campagne suisse, franchissent un fleuve, manquent de mourir emportés par le courant, trouvent refuge auprès d’un étang, avant de vouloir partir sauver le monde et de finir au sommet d’une montagne. Dans un incroyable mélange de burlesque, de paysages naturels triomphants (eaux déchaînées, glaciers, falaise desséchée) et d’humour désespéré. A l’époque, les deux Zurichois travaillent ensemble depuis quelques années à peine (leurs premiers travaux en commun remontent à 1979). Vingt ans plus tard, leur collaboration a pris toutes les formes : films, sculptures d’argile, récupération de vidéos et photos utilitaires, éblouissants montages d’objets, établissant les discrets Fischli et Weiss en bonne place dans le panorama de l’art européen. A respectivement 47 et 53 ans, ils appartiennent à la génération des John Armleder, Roman Signer, celle des artistes suisses qui apparurent sur la scène internationale avant l’éclosion des espaces alternatifs des années 80. Les grands frères discrets de toute une flopée d’artistes.
Sauf que, justement, l’exposition qui vient de s’ouvrir présente une série de travaux récents, un ton en dessous de leur habituelle impertinence visuelle. Cent vingt photographies de fleurs et de fruits que Fischli et Weiss avaient réellement cultivés lors d’un projet architectural à Munster en 98. Une sorte de jardin botanique psychédélique, vibrant de roses très roses et de verts très, très vifs, car retravaillés à la palette graphique. Chaque image s’additionne à l’autre pour former une mosaïque abstraite. Ce qui donne une grande salle étrange, assez drôle (dans quel magazine trouve-t-on encore de telles représentations florales ?), plutôt joyeuse mais étonnamment froide. C’est que, dans chaque photo, se superposent plusieurs plans végétaux, donnant l’impression que le tirage suit sa propre existence, prêt à basculer dans le rêve. On pense à l’univers de Björk, celui des clips concoctés par Michel Gondry, avec leur ambiance lichen high-tech. Mais que faire de cette (fausse) naïveté statique, se moquant de l’idée du beau sans tout à fait s’en détacher ? Difficile à cerner pour le spectateur non averti, pour tout dire un peu refroidi par cet académisme floral, même pris au second degré.
C’est paradoxalement dans le catalogue de l’exposition que l’on retrouve le plus l’esprit ludique de Fischli et Weiss. Un ouvrage quasiment vierge de texte, livré en pâture aux fleurs artificielles des Suisses, uniquement composé de reproductions des végétaux en format A3, pliées en deux, détachées les unes des autres. Du coup, c’est pratique, on peut se refaire les mêmes chez soi. Option débrouille et bricolage qui évoque l’humour bancal qui rendit les deux artistes célèbres. Pour preuve, leur fameux film Der Laud der Dinge (« La Course des objets ») de 1987, présenté pour la première fois à la Documenta de Kassel. Un long plan-séquence construit sur le mode marabout/bout de ficelle : un pneu roule sur une planche qui soulève une chaussure qui renverse de l’essence qui enflamme un tissu qui… Version pauvre des chutes de sucre en cascade, ce film absurde et excitant laisse le spectateur toujours suspendu, haletant, amusé et apeuré à l’idée d’un accident qui viendrait casser le cours de la vie.
A l’inverse, l’expo plutôt belle et plutôt ennuyeuse du musée d’Art moderne est trompeuse sur ce point : Fischli et Weiss sont sans doute parmi les artistes les plus drôles et les plus malins de ces dernières années. Citons encore leurs sculptures d’argile qui recomposent avec une naïveté enfantine des figures et scènes de la culture populaire (genre « Mick Jagger et Brian Jones rentrant satisfaits chez eux après avoir composé I can’t get no satisfaction« ) et leurs délirants assemblages d’objets. Travailler sur l’image, le quotidien, le cliché pour dépouiller le regard et parodier les prétentions de l’existence.
C’est cette même démarche qui sous-tend une autre pièce présentée par le musée d’Art moderne, Sichtbare Welt (« Monde visible »), conçue lors de la dernière Documenta, pour Arte : des paysages du monde entier défilent à l’écran, en silence, passant en revue l’imagerie touristique traditionnelle. Seul regret face à cette belle installation vidéo : la voir au musée, et non chez soi, sur son propre poste. C’est alors qu’on expérimenterait réellement la capacité de ce film à repenser nos nuits télévisuelles et à nous plonger dans un état latent, entre veille et sommeil rêveur. « C’est comme une télé cheminée, explique Peter Fischli, les images passent à la télé mais tu n’es pas obligé de regarder. Pendant dix ans, on a voyagé et pris ces photos pour voir si les images qu’on voyait dans les magazines existaient vraiment. Des images easy-listening : elles sont jolies, elles ne te dérangent pas. »
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