Jean-Claude Fall redonne fraîcheur et profondeur métaphysique à la pièce phare du tandem Brecht-Weill.
Le 5 décembre dernier, à Montpellier, du côté de la place de la Comédie, on pouvait entendre çà et là les accents de la Complainte de Mackie, cette rengaine qu’on sifflote depuis 1928 sans souvent savoir d’où elle vient. De nombreux artistes ont tenu par là à montrer qu’ils s’associaient au comité de vigilance contre l’extrême droite dont les représentants au conseil régional empoisonnent la région depuis mars dernier en prenant notamment en grippe Jean-Claude Fall, l’actuel directeur du Centre dramatique national de Languedoc-Roussillon. Convaincu ou non par cette action spontanée, le public est venu en masse et a fait un triomphe à cette production de L’Opéra de quat’sous qu’on n’est pas près d’oublier. Beaucoup de jeunes qui s’amusent et qui discutent à l’entracte de cette pièce que tous croyaient connaître, que beaucoup jugeaient datée et qui démontre ici son actualité.
La salle est comble chaque soir, à tel point qu’il a fallu renoncer à déboulonner les fauteuils des dix derniers rangs. Fall souhaitait évoluer dans un espace plus intime en cultivant le propos artisanal d’une pièce de plus en plus édulcorée et qu’on a tendance à monter comme une opérette kitsch à grand spectacle. Le spectateur se retrouve en face d’un décor de théâtre délabré ; les acteurs arrivent de derrière et se mettent à jouer tout en restant constamment spectateurs. Les musiciens, un simple trio au lieu de l’ensemble habituel, font partie intégrante du spectacle et réagissent aux traits qui fusent, ça sonne diablement bien. Distanciation efficace, on voit bien là ce que Weill et Brecht ont pris dans L’Histoire du soldat. Du rapiéçage de maître.
Fall élimine les longueurs qui ont fait tant de mal à la pièce. Il s’intéresse surtout aux relations ambiguës entre Mackie et ses trois femmes, et fait du surineur un don Juan anarchiste, dont le dégoût ramène au premier grand personnage de Brecht, Baal. C’est tellement évident qu’il fallait le faire. Et puis, la parodie d’opéra finale que les connaisseurs attendent avec impatience passe ici à la trappe parce que, au fond, après le monologue édifiant du non-héros, y a-t-il vraiment encore quelque chose à dire, à chanter ?
Dans cette relecture aussi profonde que réjouissante, des phrases que l’on connaît par coeur heurtent de plein fouet. « Ce qu’il faut, c’est une main de fer », clame ce pantin de Brown. La chorégraphie grotesque qu’il entame avec son vieux pote Mackie dans le Chant des canons évoque la puanteur de la collusion politique locale et crache le venin d’un racisme devenu banal. On a beau mettre des bâtons dans les roues de Jean-Claude Fall, le menacer de lui retirer ses subventions, le punir ainsi de son passé d’activiste des « théâtres rouges », la qualité de son travail parle pour lui ; mieux, elle lui amène toujours plus de partisans. Son action est déjà légitimée.
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