Le metteur en scène Eric Vigner détruit Marion Delorme de Victor Hugo. Ennui ferme du côté du spectateur.
Eric Vigner, directeur depuis trois ans du Centre dramatique de Bretagne à Lorient, est issu d’une nouvelle génération de metteurs en scène qui a émergé au début des années 90 et entend mener une petite révolution au sein de l’institution théâtrale en faisant souffler un vent nouveau sur le navire : privilège à l’écriture contemporaine et accent mis sur un travail de recherche. Le texte de Marion Delorme écrit par Victor Hugo en 1829, censuré deux ans avant d’être présenté en 1831, s’est imposé au metteur en scène comme manifeste, à la fois politique et artistique. « Au xixème siècle, le théâtre était considéré comme une véritable tribune publique, endroit de réaction redouté par le politique. Le lien entre l’artistique et le politique est si ténu que l’on peut émettre l’hypothèse que Marion Delorme est aussi une pièce sur la mort de l’art… La question aujourd’hui est de savoir si on peut proposer une nouvelle forme de théâtre, un autre rapport au monde à travers un nouveau type de rapport au public. » Dont acte, gonflés à bloc par une démarche aussi louable, nous voilà prêts à partager l’aventure.
Un prologue rappelle le contexte historique dans lequel a été écrite la pièce, un an avant la révolution de juillet 1830, et pose les fondements d’un nouveau théâtre tel que l’envisageait Victor Hugo et plus largement le mouvement romantique. La présentation terminée, que le spectacle commence ! S’attachant à la formule « Il faut que tout meure pour que tout vive », Eric Vigner a choisi d’être radical : il balaie toute idée d’un théâtre de la chair et de l’émotion. Au diable le tourment romantique, la sensualité, le corps, nous sommes confrontés à l’aridité d’une forme qui rend cette Marion Delorme aussi sèche qu’une trique sans une once de débauche pour la courtisane libertine qu’elle est. Totalement désincarnée, il ne lui reste que l’usage de la langue ou plutôt des sons. Les vers sont dépecés, traités comme une partition musicale : silences, graves et aigus, les vicomtes, chevaliers et autres marquis racontent les potins de cour, se battent en duel ou se pâment pour Marion, parlent de la politique chacun dans un registre créant quelques (trop) rares fois un effet comique, et le plus souvent une panique chez le spectateur qui n’y comprend plus rien, confondu par une rythmique qui tiendrait plus de la musique concrète que du langage parlé. Côté corps, le parti pris est tout aussi sévère. Eric Vigner a fait appel aux chorégraphes Franck Aperté et Annie Vigier pour donner du mouvement à ces têtes parlantes. Ils ont choisi de leur attribuer une gestuelle codifiée à l’extrême, concentrée sur les bras. L’effet automate de porcelaine fonctionne à plein, souligné par quelques valses viennoises en sourdine, c’est l’image du musée Grévin qui s’impose. Serait-ce donc le nouveau type de rapport au public ? L’effort qui nous est demandé serait-il trop intense ? Admettons. On peut aussi penser que ce travail de recherche mené par Eric Vigner tient du laboratoire et que l’on pourrait, s’il nous était présenté comme tel, y porter un autre intérêt. Seulement voilà, nous ne sommes pas conviés à une expérience mais à un spectacle en bonne et due forme et, au bout d’une heure de ce régime, l’entrain a définitivement fait place à l’ennui.
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