A l’heure où Marie-Claude Pietragalla fait ses adieux à l’opéra, Carlotta Ikeda donne une version très personnelle du Sacre du printemps et règle un compte définitif à toute l’imagerie sucrée des jeunes filles qui faisaient rêver Degas et illustrent si bien les boîtes de chocolat. Les danseuses, les yeux couverts d’une bande de satin rose […]
A l’heure où Marie-Claude Pietragalla fait ses adieux à l’opéra, Carlotta Ikeda donne une version très personnelle du Sacre du printemps et règle un compte définitif à toute l’imagerie sucrée des jeunes filles qui faisaient rêver Degas et illustrent si bien les boîtes de chocolat. Les danseuses, les yeux couverts d’une bande de satin rose qui deviendra le lacet des chaussons de danse, ont des airs de joueuses d’un colin maillard diaboliquement angélique. En tutu qui n’a plus d’âge, le corps maquillé du blanc des clowns, elles évoluent autour d’une femme-chrysalide dont on ne sait si son enveloppe de plastique est destinée à l’étouffer ou à présider à sa naissance. Les corsets contraignent les bustes, seules les jambes et les fesses sont laissées libres, à peine entravées par un string blanc confondu avec la chair.
Le printemps de Carlotta Ikeda n’a rien d’un gai moment d’éveil de la nature et des sens, il se présente sous une face plutôt morbide, et les émois du corps qu’il peut engendrer flirtent avec quelques tendances nécrophiles à peine dissimulées. Il vous plonge dans des limbes où les corps inquiétants jouent tout à la fois l’économie du mouvement et la violence soudaine d’un tremblement que l’on n’a pas vu venir.
La chorégraphe Carlotta Ikeda pratique depuis 1974 le butô (« danse des ténèbres »). Une danse dont le vocabulaire de base est constitué par un ancrage du bassin au sol, des corps maquillés de blanc et des yeux révulsés. Le butô est né à la fin des années 60 d’un mouvement d’artistes qui entendaient ne pas perdre la mémoire après Hiroshima comme on l’a si instamment suggéré à la population japonaise. Le butô emmène le corps au-delà de ses frontières, à la découverte d’un état primal, où il serait en accord parfait avec les éléments et non plus force destructrice. Exclusivement féminin, le butô de Carlotta Ikeda est nourri d’autres influences, notamment celles de ses danseuses venues d’Europe et d’Asie, sans pour autant perdre ses racines. Ce Sacre du printemps, elle l’a voulu sans la musique de Stravinski, à peine quelques notes dans les sons tonitruants qui évoquent les trompettes de l’apocalypse, un sacre en accord parfait avec la définition que Carlotta Ikeda donne du butô : « La tentative de montrer la frontière, juste l’instant où tu vas mourir. »
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