Sous ses airs de roi du nanar, l’inclassable Max Pécas a tout essayé: polar, porno, comédie. Pygmalion et novateur, il reçoit pourtant depuis quarante ans des volées de bois vert de la part de la critique. Mais le public est venu là pour s’éclater.
Tout le monde a besoin d’un bouc émissaire, un souffre-douleur sur lequel faire passer les tares entières de la galaxie, faute de s’attaquer aux véritables responsables. Le cinéphile pur et dur n’échappe pas à la règle. Plutôt que de regarder droit dans les yeux les vrais assassins du cinéma français (Lelouch, Blier, Doillon, Besson, Tavernier, Kounen, pour citer quelques écoles esthétiques ?), notre ami l’amoureux du septième art a trouvé une bête immonde sur qui se défouler : Max Pécas. Pour cela, trois attitudes : l’indifférence totale (« Désolé, je ne regarde pas ces c… »), le mépris affiché et furibard (« Pécas ? C’est vulgaire ! Médiocre ! Stupide ! Réac ! Moche ! »), ou la jubilation de mauvaise foi (« Géniaaaaal, le zoom ! Cool, Marcel Philipot hystérique qui veut violer Luq Hamet habillé en soubrette dans On se calme et on boit frais à Saint-Tropez ! »). C’est vrai, Max Pécas n’est peut-être pas Orson Welles ou Fritz Lang. A vrai dire, il n’y a même guère de comparaison possible entre L’Aurore et Mieux vaut être riche et bien portant que fauché et mal foutu. N’empêche : son cinéma, ce cinéma, manque terriblement à la production européenne contemporaine.
Sans être chauvino-poujadiste, lisez les Cahiers d’il y a vingt ou trente ans et souvenez-vous de l’époque bénie où sortaient dans les salles de quartier ces coproductions franco-italo-ibéro-germano-britanniques style Opération Poker, ces comédies paillardes avec Jacques Jouanneau et Katia Tchenko, ces polars urbains aux Renault 16 qui vrombissaient du pot ! Tout cela n’est (pratiquement) plus. Ceux que Daney appelait les « prom’auteurs » (Besson, Annaud, Beineix et compagnie) ont désormais pris pour argument de vente de leurs machins une respectabilité, une image de cinéaste (alors que…). Pensez-donc, Klapisch passe même à Polémiques… Pas de ça chez Pécas ! Nul besoin ! Comme il se plaît à le rappeler, « le cinéma, c’est un titre et une affiche », même s’il faut « quand même quelque chose dans la salle, sur l’écran »…
Par exemple, c’est un ami lui ayant balancé lors d’un intense brainstorming « Embraye, ça fume ! » qui a inspiré au cinéaste le titre de sa comédie troupière Embraye, bidasse, ça fume ! (sans doute un des bidasse-movies les plus réussis avec le Arrête ton char, bidasse de Michel Gérard). Suite de Marche pas sur mes lacets reprenant le même personnage au service militaire (tout l’inverse d’Antoine Doinel dans Baisers volés), ce film s’est aussi appelé Bidasses Academy, « titre que je préfère » avoue le réalisateur. Les intitulés des toiles de Pécas ont toujours une histoire : il lui a ainsi fallu racheter aux Presses de la Cité les droits de Brigade des moeurs pour le film homonyme. La commission de censure l’obligea aussi à changer l’appellation Les Liaisons particulières à cause de l’existence du livre de Peyrefitte, Les Amitiés particulières. Le film deviendra alors Claude et Greta. Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver dans sa filmographie des oeuvres à plusieurs titres. Ainsi, Une Femme aux abois et La Prisonnière du désir ne sont qu’une seule et même oeuvre ! Mais parfois, preuve de la primauté du titre, la machine ne marche pas. Je suis frigide pour toi n’a pas connu le succès escompté (« Normal, la frigidité n’est pas ce qu’il y a de plus excitant ! »), contrairement à Je suis une nymphomane (« Là, ça interpelle le spectateur ! »).
Né en 1925, Max Pécas est venu au cinéma un peu par hasard. Comme tout le monde. Des rencontres : un journaliste-représentant du Film français à Marseille, des comédiennes comme Ginette Leclerc ou Ginette Garcin, un ami régisseur de Fernandel… Puis l’incontournable « montée » à la capitale où un producteur lui fera une proposition qu’il ne pourra pas refuser : « Pourriez-vous faire un film pour 500 000 f ? » Pari tenu, et l’aubaine débouchera sur Un Cercle vicieux, thriller « à la Hitchcock » comme il aime à le rappeler. Normal, c’est un fan de l’oncle Alfred, ainsi que de John Ford et de Jacques Demy. Nous sommes en 1959, la Nouvelle Vague est arrivée. Où placer Max Pécas dans le tohu-bohu de l’histoire ? La dialectique Nouvelle Vague/Qualité Française semble être vraiment trop réductrice, le metteur en scène n’étant rattachable ni à l’un ni à l’autre des clans. S’enchaîneront la comédie d’espionnage De quoi tu te mêles, Daniela ? avec la BB allemande et Douce violence que le cinéaste qualifie d’« étude de moeurs », interdite aux moins de 18 ans pour une question d' »esprit ». Là débutent les déboires du créateur avec la censure, lequel suivra la nouvelle vague (en minuscules !) de l’érotisme gentil.
Il y a différentes périodes dans l’exposition des corps chez Max Pécas. Il commença dans la volupté picturale avec des films sexy à la Bénazéraf (l’auteur récemment réhabilité du sublime et désirable Le Désirable et le sublime), où tout est prétexte à montrer de la femme ! L’érotisme à l’époque se décline sous plusieurs formes : les nudies (l’étalage à la Russ Meyer par exemple), les skinflicks (« films de peau », où l’on peut voir des strip-teases à Pigalle et autres madeleines), les mondo-films (des pseudo-documentaires sur le sexe dont l’esthétique a été récupérée par Jean Bertolino lorsqu’il évoque les bordels de Bangkok). Ces sous-genres se sont allégrement interpénétrés, et le réalisateur toucha un peu à tout ça en six oeuvres chaudes de 1964 à 1968. Puis l’explosion : les pornos suédois débarquent, Jean-François Davy ose Exhibition. Pour survivre, il faut suivre la mode et Max Pécas tourne son premier véritable porno d’une série de sept, Claude et Greta, qui évidemment souleva les foudres des bien-pensants. Le soft pécassien était innommable, monstrueux à leurs yeux. Ils n’avaient encore rien vu c’est le cas de le dire ! Quatre ans plus tard, suite à la libération giscardienne et la création de la classification X, le hard est toléré. Le cinéaste, en plein tournage, se voit contraint d’insérer des plans « incorrects » dans Les Mille et une perversions de Felicia, sa seule incursion dans le hard (bien qu’il existe aussi une version soft). « Pendant la guerre, on mangeait de la saccharose. Quand le sucre est arrivé, croyez-moi qu’on n’est pas retourné à la saccharose ! Eh bien, pour le porno, c’est la même chose ! », reconnaît-il, abandonnant ici sa carrière olé-olé. Il a même été un pionnier esthétique : « le fait de filmer à travers des voiles » et « les panoramiques sur les corps » ont été deux procédés créés par lui, deux trucs de cinéma « récupérés par la publicité ».
Place à la comédie (outre Brigade des moeurs). Sachant manier la chèvre et le chou, Max Pécas éclate les genres et introduit comme peu de cinéastes en France les codes du nudies dans de véritables comédies : cela donne par exemple les célèbres Belles, blondes et bronzées, On est venu là pour s’éclater et la trilogie tropézienne (Les Branchés à Saint-Tropez, Deux enfoirés à Saint-Tropez et On se calme et on boit frais à Saint-Tropez film préféré de Pierre Bouteiller et Alain Riou ; Michel Ciment, lui, ayant un faible pour Mieux vaut être riche et bien portant…). Sur cette période, le génie de Max Pécas aura été d’offrir différents alibis au spec-tâteur en mal de corps dénudés : la beauté de la Méditerranée, l’atmosphère décontractée, les bonnes blagues de potache… C’est ça, l’épicurisme pécassien : un cinéma de mecs (essentiellement), viril, qui plaisante même de l’homosexualité (voir le personnage de Chouchou dans On se calme…, folle exacerbée qui démontre que Pécas n’est pas du tout homophobe).
Ce cinéma mâle voit son apogée en 1984 avec un vrai polar, Brigade des moeurs, oeuvre trouble et troublante qui ne manqua pas de déranger l’establishment aux grands ciseaux. Le parti pris de réalisme n’a en effet guère satisfait les membres de la commission de classification, laquelle opta au départ pour l’infamant label X. Etant donné la catastrophe financière que représentait une telle décision, le metteur en scène demanda quoi couper. « Ce que vous voudrez ! », lui répondra-t-on. Il est vrai que Brigade des moeurs, coécrit par le fils de Max Pécas (flic à ce moment-là), n’a pas voulu mentir : la Mafia, le quotidien de la maréchaussée policière (d’une façon bien différente de L. 627 !), c’était la grande époque des Brésiliens du bois de Boulogne (on en voit un « tout entier » à la morgue dans le film !). Bourré d’images crues, de parler « vrai », ce film est à retenir aussi comme une des rares incursions du gore dans le polar français (le dernier quart d’heure vaut son pesant d’hémoglobine). Succès en salles, Brigade des moeurs connaît désormais une descendance esthétique dans les séries policières à la TF1 ou France 2. En moins bien, évidemment.
Outre Brigitte Lahaie avec qui il tourna On se calme…, Pécas permit à quelques petits jeunes d’éclater sous les sunlights : Caroline Tresca, Ticky Holgado, Xavier Deluc, Luq Hamet furent quelques-unes des découvertes du cinéaste. Auparavant, Johnny Hallyday chanta deux chansons en 1963 pour Douce violence (un de ces deux titres fut d’ailleurs son plus grand succès à l’étranger !). Charles Aznavour signa aussi la musique des deux premiers films de Max Pécas. Plus étonnant encore, le cinéaste travailla avec Jean-Patrick Manchette sur L’Espion à l’affût. L’écrivain était tout jeune à l’époque, il voulait même arrêter ses études (il était en licence d’anglais) pour écrire un scénario avec Max Pécas. Ce dernier transposa la maxime de Pialat Passe ton bac d’abord au cas de Manchette, lequel doit peut-être au réalisateur un peu de son éblouissante carrière. Cependant, les deux n’eurent pas les mêmes rapports avec la critique.
Autant Manchette obtint une renommée (fort méritée d’ailleurs), autant Pécas se cassa les dents sur des articles terribles. Le « roi du nanar » (ou du « Nan’ Art » ?) fut un des qualificatifs qui revinrent souvent à son sujet, en particulier de la part de Télérama qui ne l’apprécie guère (« contrairement aux Cahiers qui n’ont pas été trop méchants au début ! »). Là encore, tel Pialat à Cannes en 1987, le réalisateur renvoie les compliments (« Je m’en moque ! Je ne lis pas Télérama ! »). Toutefois, Max Pécas n’a pas de haine absolue envers la critique, « du moment qu’elle ne m’attaque pas en tant que personne ». Il fut même très ami avec François Chalais, lequel assassina un film, employant notamment l’expression « Pécas à Caracas ! ». Cette mise à mort eut des conséquences importantes pour le film en question : ses entrées furent multipliées par deux dans la journée ! Le public, ainsi, plébiscita les oeuvres du cinéaste mal-aimé.
Multidiffusés à la télévision, les produits de Max Pécas rentrent dans le cercle très fermé des films français vendus dans le monde entier. Aux USA, certaines de ses oeuvres sont même doublées dans la langue de Shakespeare et d’Ed Wood. De plus, il a réussi l’exploit de vendre les droits de ses comédies au Japon, là où le comique hors local et USA n’est guère apprécié.
Max Pécas, c’est aussi un bon vivant, quelqu’un qui sait instaurer, comme Chabrol, un bon climat sur les tournages. Avec comédiens et techniciens, il avait su créer une ambiance bon enfant, joyeuse. Un de ses meilleurs souvenirs fut la prestation de Jackie Sardou dans le vaudeville On n’est pas sorti de l’auberge. A la fin de ses trois jours de tournage, la mère du chanteur bougon fit une surprise formidable : elle prépara la bouillabaisse pour toute l’équipe (quarante personnes environ). Nous tenons là une parfaite métaphore du cinéma de Max Pécas : une soupe conviviale, à la bonne franquette, dans laquelle, en fin de compte, il peut y avoir de la daube, mais pas de navets !
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}