Comment montrer ce qui est caché, alors que justement on nous le cache ? Comment instiller le doute à coup sûr ? Décryptage de l’esthétique de la complosphère.
• Rester libre et se filmer à la maison
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Le complotiste est un être qui a compris avant les autres. Pour souligner sa solitude – prix à payer quand on occupe les avant-postes de la Vérité –, il commet volontiers ses vidéos en totale autarcie. Polyvalent, ce théoricien du doute est tour à tour scénariste, réalisateur, décorateur, caméraman et monteur. Matthew Armstrong (photo), coach en développement humain et neuvième dan de taï-jitsu, feuillette le Sunday Express en expliquant que la grippe, pure invention des labos pharmaceutiques et des médias, n’existe pas. La démonstration a la fraîcheur du vidéaste indépendant : debout devant son garage, Matthew, le nez légèrement bouché, est l’unique protagoniste d’un plan-séquence de cinq minutes, auquel seule une panne du caméscope semble pouvoir mettre un terme. Soporifique et sans chichis, Matthew prouve qu’il est possible de fabriquer un complot depuis son garage. Beau comme du Steve Jobs.
• Fabriquer des preuves au logiciel Paint
Pour convaincre de sa théorie, le complotiste en quête de crédibilité sait que son charisme ne suffit pas : il lui faut avancer des preuves. Très utilisée, notamment dans les dossiers “Mohamed Merah” et “11 Septembre”, la technique dite “technique du cercle” permet de faire cracher son secret au cliché le plus anodin. Extraite d’un documentaire modestement intitulé Preuve absolue d’une conspiration dans l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, l’image ci-contre a été obtenue en zoomant sur une photo de presse de l’époque, puis en encerclant quelques pixels verdâtres à l’aide d’un logiciel de dessin vectoriel.
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Le résultat, censé nous glacer d’effroi (la tête de Lee Harvey Oswald, le tireur, apparaît dans le cercle), fait surtout penser aux recueils de “dessins en relief” de notre enfance – quand, à force de plisser des yeux sans rien voir apparaître, on finissait par aller jouer aux Pogs.
• Faire rêver par la métaphore infographique
Pour propulser le spectateur dans son monde et le persuader que ce monde est aussi le sien, certains complotistes déploient des trésors d’imagination en 3D. Ci-contre, l’animation dite “métaphore de la PlayStation” permet à un groupuscule d’extrême droite baptisé La Dissidence française de montrer à quel point les élites, réunies dans un méchant “nouvel ordre mondial”, se jouent de nous comme de leur premier joystick.
Plus souriant, le documentaire Thrive, coproduit par les studios LiquidBuddah, débute avec un globe terrestre qui se transforme délicatement en ovaire. Fascinante image, préambule à l’explication d’un “modèle d’énergie vitale”. Certains complotistes disposant d’un peu moins de budget, comme les antifluor (accusé d’empoisonner l’eau courante), opteront pour les dessins animés.
Marie Bonnisseau
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