Pour sa première exposition personnelle, Matthieu Laurette fait entrer le petit commerce dans le marché de l’art.
Vous l’avez forcément vu à la télé, car forcément vous la regardez : en cinq ans, Matthieu Laurette est passé dans toutes vos émissions préférées (Tournez manège, Sans aucun doute, Frou Frou, Vincent à l’heure…), aux JT de TF1 et France 2, et a même gagné la médaille de Je passe à la télé, piètre sculpture en bronze qui trône sur une des tables de son exposition. Il faut dire que ses « apparitions » télé ont un succès notable : normal, il explique à tout le monde comment « vivre gratis ». L’idée est simple : il suffit d’acheter les produits ornés de l’étiquette « remboursable », et se les faire effectivement rembourser. Ce qui demande en réalité pas mal de travail : repérer la petite étiquette, passer à la caisse, le chariot bondé, en demandant un seul ticket par article ! Alors, pour aiguiller les consommateurs désireux de prendre le marketing à son propre piège, Matthieu Laurette imprime des tracts, organise des dîners remboursés, passe dans les médias, monte des show-rooms où « tout doit disparaître », et va même jusqu’à organiser des visites guidées non pas au Louvre mais dans des supermarchés. Reprenant toutes les pratiques commerciales en vigueur, il a également aménagé un camion-vitrine itinérant et écoule son stock de produits remboursables en faisant la tournée des marchés. D’abord parasite vivant sur le dos de la grande consommation, Laurette est un virus qui incite les autres à en faire autant.
Donc, cet artiste n’a rien à vendre : côté commerce, son style c’est plutôt la grande distribution, l’extension d’un comportement roublard face aux ruses des publicitaires. Et dans ces conditions, on se demandait ce que ce jeune homme allait bien pouvoir faire dans une galerie d’art. Assurément, il veut d’abord en finir avec cette pratique du « vivre gratis » qui a fait son succès et qui désormais lui colle un peu trop à la peau. Pour autant, il ne perd pas son cap. Presque rien au mur, mais en vitrine un livre à 70 f, ou des T-shirts à 100 f, avec un imprimé « Vu à la télé » et que l’on peut se faire rembourser si l’on parvient à passer à la télé avec le dit T-shirt. On peut aussi s’offrir un disque de techno à 60 f, écoutable sur place, et là encore, Laurette pratique un art de la dilution : il a refilé à quelques DJ inventifs les bandes-son de ses apparitions télé, échantillons sonores gratuits que DJ Sid, Serge Comte ou Mr Learn ont pu sampler et remixer à loisir. Bref, il transforme la galerie non plus en lieu d’exposition mais en lieu de stockage, surtout en maison de production, et lui fait pratiquer une hérésie commerciale : la vente à perte. Non, j’exagère : un collectionneur richissime peut quand même venir dans la galerie et dépenser la coquette somme de 250 000 dollars en s’offrant une double nationalité, celle du paradis fiscal St Kitto & Nevis ou encore la nationalité autrichienne (1 million de dollars, prix réel hors frais d’avocat). A conseiller à ceux qui ne sont pas tous les jours si fiers d’être français. Bref, sous couvert de jouer avec l’argent des autres, Matthieu Laurette invente une économie parasitaire, nous incite à contourner les règlements économiques et internationaux. Et crée un espace de libre diffusion des idées, des objets et des comportements.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}