En début de semaine, Amazon a retourné le web anglophone en annonçant que les auteurs n’auraient plus le droit d’écrire des critiques des livres de leurs confrères sur son site. La pratique, courante partout dans le monde, entraîne sur Internet des dérives que le site entend limiter.
Joe Konrath connaît Internet et Amazon : l’hiver dernier, il a vendu en six semaines pour 150 000 $ d’ebooks, attirant l’attention des maisons d’édition et des tabloïds. Steve Weddle est lui aussi un auteur de pulp fiction moderne, également plus doué dans la promotion de sa prose que dans son élaboration, si on en croît la jaquette de ses livres. Mais il ne s’agit pas de parler de leurs livres : on ne les a pas lus. Ce qui nous intéresse, c’est ce ces écrivains ont à dire des livres qu’ils ont aimés.
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Ces deux auteurs de romans de gare ont révélé la nouvelle politique d’Amazon en matière de critiques : en sont désormais interdits les écrivains qui aimeraient parler de leurs confrères. Une décision qui s’accompagne de la suppression des reviews illégales. Les nouvelles conditions d’utilisations classent en effet les auteurs en tant que concurrents, donc interdits d’expression. Une position pas facile à tenir, rien que parce que les auteurs aiment bien parler de leurs confrères, en interview ou sur la quatrième de leurs livres. La rivalité n’est pas la relation primaire des auteurs, et mettre une muselière aux écrivains n’est pas forcément la meilleure décision en matière de RP. Mais les nouvelles conditions du site sont très claires, comme le révèle Steve Weddle, qui relaie un mail d’Amazon :
« Nous avons retiré votre critique de Karma Backlash. Nous ne tolérons pas les critiques de la part d’une personne ou d’une entreprise qui possède des intérêts financiers dans ce produit ou lui fait directement compétition avec un autre produit. Ceci inclut les auteurs, les artistes, les éditeurs, les imprimeurs ou les distributeurs du produit. C’est à ce titre que nous avons retiré votre critique. »
La critique au cœur du fonctionnement du site
L’ennui, c’est que la critique est au cœur du fonctionnement d’Amazon. Humoristique ou ennuyeuse à mourir, elle est la raison pour laquelle on visite ce site : pour avoir un aperçu de la discussion et des avis authentiques (c’est le deal) autour d’une œuvre, et décider de faire un achat qu’on ne regrettera pas. Mais ce système ne marche que si la critique est honnête.
Ce qui n’est pas toujours le cas : entre 2010 et 2011, Todd Rutherford s’est fait un paquet de pognon (jusqu’à 28 000 dollars par mois quand même) en monnayant, grâce à son site Gettingbookreviews.com, des critiques de livres. On trouve sur Amazon des modes d’emplois pour faire buzzer son livre en l’envoyant aux meilleurs commentateurs du site, afin de le faire décoller. C’est ce qui est arrivé au bouquin de Keith Donohue, ignoré par la critique, mais réimprimé huit fois, pitché à Hollywood, et finalement sur la liste des best-sellers du New York Times. Incidemment, cette mesure d’Amazon permettrait de combattre cette manipulation qui consiste à offrir son ebook aux critiques et auteurs pour booster ses ventes.
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Négocier des critiques n’était pas génial, mais ça pouvait encore se repérer sans trop de difficulté. En revanche, en septembre dernier, un nouveau cas de figure est apparu. R. J. Ellory, l’auteur de polars s’est fait choper par la patrouille. Un collègue, Jeremy Duns, a trouvé à quoi un type qui sort un best-seller par an depuis 2003 occupe son temps libre. Il va sur Amazon, se crée des faux comptes et les utilise pour noter ses bouquins 5/5 et ceux des auteurs qu’il n’aime pas 1/5 en les accusant de plagiat. Ellory s’amuse et qualifie son Seul le silence de « chef d’œuvre contemporain » qui « touchera votre âme » si vous l’achetez, raconte que c’est un livre « merveilleux » dont « certaines parties étaient glaçantes, d’autres coulaient de source, certaines étaient poétiques et langoureuses et devaient être lues deux ou trois fois pour vraiment apprécier la profondeur de la prose ».
Dommage qu’un de ses alter-égos, Nicodemus Jones, se soit trahi en signant « Roger » et en écrivant qu’il avait « gagné le prix du Nouvel Observateur l’année dernière pour Seul le Silence » (on n’imaginerait pas qu’un mec qui écrit des polars fasse de telles erreurs).
Confiance érodée
Les excuses d’Ellory n’ont pas empêché Michael Connelly et les maîtres du polar de fustiger son comportement, ni à des anciennes affaires de ressortir : celle de l’historien Orlando Figes qui avait eu le même comportement sur Amazon, et avait été condamné à payer des dommages et intérêts, ou celle de Stephen Leather, qui a raconté comment il se ruait sur les forums pour animer des conversations, parfois anonymement, parfois sous son nom, pour promouvoir son bouquin en parlant tout seul.
La décision d’Amazon, si elle ne résout pas le problème (en l’occurrence, un compte anonyme n’est pas répertorié en tant qu’écrivain) aura au moins le mérite d’avouer que la confiance qui est à la base de son fonctionnement est sérieusement érodée.
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