Avec ses installations complexes, le Suisse Ugo Rondinone s’impose comme un illusionniste hors pair.
Un épais paquet de toile sous le bras, Ugo Rondinone plie et replie un bout de son exposition. Un long rectangle de couleur animé, traversé de bandes vives. Du rouge criard, du jaune aigre : des couleurs aiguës pour dire la vitesse, des traces de paysages vus par la vitre d’une voiture. Du fond de la pièce s’élève une mélodie lancinante, un montage vénéneux de No more affairs des Tindersticks, dont l’artiste n’a gardé qu’une seule phrase, ralentie et répétée à l’infini, d’un accent triste et déterminé : « Plus de liaison, plus de trahison. » A quatre jours de l’ouverture de l’exposition, la galerie encore presque vide est déjà saisie par un étrange contraste de temps et de rythme. Musique douce contre couleurs vives : une mise en scène bientôt complétée par la pose d’un rouleau de plastique rouge aux fenêtres pour parasiter la lumière du jour. Pour que, vue de l’intérieur, la rue Louise-Weiss qui longe la galerie Almine Rech ne soit plus qu’une impression, un paysage irréel lui aussi ralenti par le filtre de couleur. « Un espace fermé pour concentrer la situation », explique le Suisse dans son joli français ankylosé. Au centre de la pièce principale, il a prévu de placer quatre moniteurs vidéo (peints en blanc, précise-t-il, ici chaque détail chromatique a son importance) : une silhouette d’homme sous l’eau, une femme qui danse au ralenti, une vue d’appartement et une étreinte de couple. Quatre propositions de danse, présentées comme des rondes physiques et abstraites. Sensualité et cérébralité.
Depuis qu’il s’est fait connaître de la scène internationale, Ugo Rondinone, 35 ans, s’est imposé comme un maître de l’artifice. Un créateur d’installations complexes, toujours présentées en huis clos, et participatives. A Zurich il y a deux ans, il plongeait les visiteurs de son installation Dogdays are over dans l’effroi d’un rire venu d’ailleurs : dans une salle criblée de télés montrant des images de clowns solitaires et avachis, ils avançaient sous une pluie de rires incompréhensibles tombés du plafond… et si un ballet enchanteur de bulles de couleur s’égayait sous la rampe d’un escalier, les murs affichaient la mine hypnotique de cercles concentriques répartis en cibles, un motif inlassablement décliné par Rondinone. Exemple typique de la Ugo touch, mélange radical de beauté plastique et de contradictions visuelles : la série des I don’t live here anymore, autoportraits mutants nés de l’assemblage grotesque du visage de l’artiste et de corps de top-models découpés dans les journaux (avec une sérieuse prédilection pour les corps anorexiques et androgynes). Le résultat est douloureux de réalisme asexué et donc super sexuel, sous une fine couche de dandysme. En plus d’une heure de discussion timide avec Rondinone, la seule référence qui apparaît au détour d’une demi-phrase est justement A rebours de Huysmans : une oeuvre où tout est « décadence, ennui et artificialité ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}