Uri Tzaig filme le sport pour décrypter les langages et dénoncer les systèmes de pensée. Mais à vouloir faire sens à tout prix, il alourdit singulièrement ses vidéos conceptuelles.
Depuis mai dernier, Israël, c’est aussi Dana International, beau brin de fille au chant disco, gagnante glorieuse de l’Eurovision dernier cru. Honte et fierté nationale dans l’Etat hébreu, selon les positions sociales et les habitudes culturelles, un conflit quasi idéologique qui semblait si bien résumer les contradictions israéliennes (entre une culture jeune technologique occidentalisée et une vieille garde religieuse conservatrice) qu’Uri Tzaig en fit une affiche, ornée d’un slogan choc : « Israel welcomes Palestine in 1999 Eurovision contest », sur fond de territoires occupés argentés. Mélange grave et impertinent de culture populaire et de politique nationale, de dance désinvolte et de drames humains.
A 33 ans, Uri Tzaig s’est déjà imposé comme un as artistique du mélange des genres, un décrypteur consciencieux des tensions et complexités de la société moderne, à travers quelques sujets de prédilection : le langage, les systèmes de pensée, les modes de communication, le pouvoir de l’image. Une thématique lourde, qui n’a rien de vraiment nouveau de Debord à Derrida en passant par Godard et Chomsky, des penseurs des années 60 ont déjà balisé le sujet mais prend avec cet artiste une forme inédite : le terrain de sport. Le gazon d’un match de foot ou de rugby, un ring de boxe, des rangées de gradins reconstitués…, les vidéos d’Uri Tzaig ont le contexte physique. Une formalisation esthétique et symbolique : « Le sport est un système commandé par des règles précises. Un sportif sur un terrain est comme un soldat à la guerre. On essaie de vous faire croire qu’il n’y a qu’un ennemi à combattre. Alors qu’en fait les menaces sont infinies. » Souvenirs de service militaire qui permettent à Tzaig d’évoquer à demi-mot le contexte politique israélien. Il y a quelques années, il montrait avec Village des pots présentés comme s’ils avaient été conçus par un Palestinien en exil. Un art « engagé » dont l’artiste s’est éloigné dans la forme, préférant aujourd’hui des oeuvres moins frontales. A Montpellier, il présente une vidéo au titre ambitieux, Infinity, désignée par le signe mathématique de l’infini. Deux équipes s’y affrontent, hommes et femmes confondus, tous vêtus du même uniforme rouge sang. Une balle passe de main en main, sans que jamais les règles du jeu ne soient expliquées. De temps à autre, un participant se colle une gommette de couleur sur la jambe du pantalon. Mystère. Tandis que les cordes qui entourent le terrain se resserrent. Impression d’asphyxie, curieusement rythmée par les saccades de l’image, une alternance de ralentis et d’accélérés, bercés par les doux mouvements des danseurs du Centre chorégraphique de Montpellier : une pièce hypnotique, intelligemment douce-amère, cérébrale et belle à regarder. Commentaire qui inquiète un peu l’artiste, parce que « les belles images sont dangereuses, car elles participent à un système ».
Mais à force de craindre la séduction et de vouloir à tout prix faire sens, Uri Tzaig en arrive parfois à alourdir son propos. Dans Play, deux équipes s’affrontent sur un terrain de foot classique, se disputant deux ballons sous les regards croisés de deux arbitres : habile mise en scène sur l’artifice des règles et la nécessité pour le spectateur de toute image de s’en faire sa propre idée. Sauf qu’en bas de l’écran défile un texte (compliqué, abstrait, difficile à appréhender sous la forme de sous-titres) censé provoquer un décalage salvateur entre messages envoyés et messages reçus. Uri Tzaig cherche ainsi à rendre apparente la structure de son récit, pour mieux dénoncer le pouvoir trompeur des images. Mais au final l’antidote se retourne contre la pièce : trop sérieux, trop didactique.
L’art conceptuel d’Uri Tzaig sait pourtant ne pas être prude. L’artiste s’apprête ainsi à produire un film porno avec textes en 3D et scènes explicites. « Comment créer un nouveau type d’art, plus individualisé ? », s’interroge-t-il. Réponse : en vendant le film 800 dollars la minute à toute personne désirant y participer. Ce nouveau type d’acheteur ne possède donc rien le film reste la propriété de l’artiste mais voit son nom figurer dans le générique. Un nouveau type d’art donc, où la structure financière de l’oeuvre apparaît en plein coeur du travail, libérant par la même occasion l’artiste de toute obligation artistique envers son donneur d’ordre. Très loin de la publicité d’entreprise, une version X du mécénat artistique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}