Venue de Norvège, la jeune Vibeke Tandberg s’invente une soeur et la vie qui va avec. Elle expose à Paris la série Living together : photos magnifiques, entre vie et fiction.
Des vacances à la mer, Vibeke et sa soeur au bras de leur mère, un après-midi au stade, un petit déjeuner, une soirée télé. Des instantanés et des instants de vie, une suite de clichés, des photos de famille presque aussi normales que les autres. Vibeke Tandberg égrène ainsi les moments qu’elle passe avec sa soeur. A moins qu’il ne s’agisse d’une copine, d’une amie, d’un amour homosexuel et vaguement narcissique. Entre elles, la ressemblance est parfois frappante, presque deux soeurs jumelles. Nettement différentes pourtant, chacune a son caractère : l’une timide et réservée, l’autre joyeuse et vive, sans que l’on sache jamais, qui, de l’une ou de l’autre, est réellement Vibeke Tandberg.
Et pour cause : ces images n’existent pas. Ou plutôt elles sont l’objet d’un trucage, d’une manipulation par ordinateur, et la vie qu’elles décrivent est entièrement fictive. Dans la réalité, Vibeke Tandberg n’a pas de soeur. Pour réaliser ces photographies, elle pose deux fois de suite au même endroit et dans un intervalle très rapide, histoire de garder la même luminosité. Entre les deux prises, elle change vite sa tenue, se compose un visage, endosse une autre identité et devient l’autre, l’âme soeur. Elle juxtapose ensuite les deux images, retravaille sur ordinateur et parfois pendant plus d’un mois leur jonction définitive. Effacer tout soupçon, toute marque de manipulation, et donner l’illusion de la vie. Car c’est au final l’étonnant paradoxe de cette photographie : qu’elle soit à ce point truquée, et qu’elle parvienne cependant à donner une telle impression d’immédiateté, d’instantané.
Il faut donc aller chercher ailleurs que dans Photoshop le secret de cette opération magique : et peut-être avant tout dans cette manipulation de soi. Dans une série récente, Faces, elle utilise le morphing pour dissoudre son visage dans celui de douze amis, et compose ainsi douze portraits à mi-chemin de soi et de l’autre. Côté psychanalyse, on signale un étonnant complexe de Vibeke : née en 1967, elle est une enfant adoptée, recueillie par un couple qui lui-même divorcera quelques années plus tard. Ce qui lui fait beaucoup de figures paternelles d’un seul coup : le père géniteur, le père adoptif et le beau-père après le remariage de sa mère (adoptive). A quoi Vibeke Tandberg a donc rajouté une fausse soeur. Et encore, on ne compte pas les vingt-six mariages fictifs auxquels elle s’est déjà livrée et qui composent une autre série photographique : vingt-six photos de mariés où Vibeke apparaît dans vingt-six robes différentes et aux côtés de vingt-six partenaires.
Un rêve de petite fille qui prend soudainement l’allure d’un défilé à la fois hilarant et hystérique. L’artiste accumule ainsi les fictions : dans une série de photos truquées, elle endosse le rôle de la première femme astronaute ou d’une infirmière en Afrique, et dans la vie réelle elle s’est imposée comme arbitre dans un match de handball. Se rendre nécessaire, exister aux yeux de l’autre (quitte à l’inventer), avoir sa place dans une communauté, être encore une fois adoptée par un groupe, telle est au fond une des nécessités profondes de cette oeuvre qui garde toujours, à la surface des choses, la belle allure des choses simples.
Photo de famille, de mariage, reportage : au fur et à mesure de ses petites fictions, Vibeke Tandberg passe en revue les genres par lesquels la photographie a imposé son effet de réel et les soumet à une frauduleuse manipulation. Cette jeune artiste norvégienne fait ainsi partie d’une époque qui ne croit plus, et c’est tant mieux, à la réalité des images, et fait de la photo de famille comme certains médias font aujourd’hui du reportage : à coups de collages, de morphing, de manips. Mais s’il n’y avait qu’un bidouillage, la série Living together ne serait qu’un gadget, une anecdote technologique, un nouvel art du trompe-l’oeil. Or, il y a, par-dessus tout, cette sensation pleine et réelle de la vie : une émotion forte, et que n’efface jamais la conscience du trucage.
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