La vie de Mishima en piste, ou comment le cirque s’attaque à un genre à succès : la biographie. Sur fond d’opéra rock.
Une passerelle de bois, une porte coulissante de papier transparent : pas de doute, nous sommes bien au pays du Soleil-Levant. La voix chaude et pourtant mécanique d’une hôtesse d’accueil nous prévient de la durée du spectacle et « espère que nous prendrons autant de plaisir à le regarder que les acteurs à le jouer ». Drôles de recommandations se dit-on. Ningen, qui signifie « l’homme » en japonais, tente une forme originale : raconter en se servant de l’art du cirque une biographie, celle de l’auteur Yukio Mishima. Les premiers fous volants, la tête ceinte du fameux bandeau blanc et rouge, acrobates des airs, débarquent. Banzaï !
Le spectacle enchaîne les tableaux clés de la vie de l’auteur. Mishima est probablement l’écrivain japonais contemporain le plus connu dans le monde. L’homme fascine. Homosexuel et marié pour sauver la face, sympathisant de l’extrême droite, obsédé par l’idée de la mort, c’est en samouraï qu’il s’est suicidé. Une vie devenue presque légende.Une préférence sexuelle qui lui posait bien des problèmes et dont la Confession d’un masque, son roman le plus autobiographique, illustre les contradictions en montrant la bataille qu’il se livrait pour dissimuler cette « différence ».
Le metteur en scène Augustin Letelier s’est inspiré du roman pour faire un cirque de la vie de l’écrivain. Il se sert de quelques références symboliques du théâtre japonais (entre autres les figures masquées et le dispositif scénique) et les associent à une technique occidentale d’utilisation du corps. Les monstres aux masques peints viennent ponctuer ou commenter les tableaux. Se succéderont l’enfance, l’armée, les arts martiaux, les soirées mondaines, les fantaisies amoureuses et les cauchemars, le tout rythmé par les battements live de la musique, renouant avec une certaine tradition d’opéra rock. La vie érotique de l’écrivain est mise en images à travers les figures de saint Sébastien qui demeure, il faut bien le dire, haut la main numéro un dans la top-list des martyrs hot. Transportant lui-même sa planche de torture, il saute périlleusement sur son partenaire, avant de réapparaître sensuellement ligoté. En ombre chinoise se dessine le Kama sutra athlétique du couple formé par un marin et une jeune femme. Une acrobate échappée d’un cocktail prend l’allure d’un joli canari noir, elle se balance, lascive, et finit par transformer ses jambes en aiguilles d’une horloge imaginaire, affolant par là même le spectateur qui ne sait plus à quel quart d’heure se vouer.
Chaque séquence est prétexte à un numéro, et c’est finalement ce qui dérange le plus dans ce spectacle. Une démonstration volontariste du savoir-faire des artistes et un surlignage du sens, comme ce fil-de-fériste devenu symbole de la fragilité monétaire et des mouvements de yoyos du yen. La musique ajoute à la surdramatisation. La démarche mérite attention, les figures restent très belles et les interprètes en grande forme, mais le spectacle nous laisse sur le côté de la passerelle, voyeurs très passifs de ces fragments de vie.